La scène des cartes de visite révèle toute l'ironie d'American Psycho

Chirurgie d'une Scène

Plus de 20 ans après la sortie du film de Mary Harron, c’est peut-être la scène qui revient le plus — devant l’orgie meurtrière, devant le lancer de tronçonneuse, la scène des cartes de visite est entrée au panthéon du culte.

Un véritable pied de nez à tous les sonneur/ses d’alertes qui s’enlisaient de manière obsessionnelle sur la violence du film, alors que le propos est évidemment ailleurs. Beaucoup oublient à quel point American Psycho peut aussi être terriblement drôle. Dans les faits, il ne se passe pourtant pas grand-chose. Bryce, Van Patten et McDermott sont dans un bureau lorsque Bateman dégaine sa nouvelle carte de visite, tout droit sortie d’un étui en argent qui s’ouvre dans un bruit de scalpel. La teinte est os, les caractères sont Silian Rail, le visage est celui de la fierté. Évidemment, tout s’écroule lorsque la carte de Paul Allen s’imprime devant les yeux du tueur (le début du supplice). Irrésistible moment où le protagoniste d’American Psycho se prend de plein fouet toute la vacuité de son monde, enfermée dans un carré de papier velours aux « subtiles nuances de blanc cassé ».

Comment ne pas jubiler face à ce déferlement de violence internalisée qui s’imprime sur le faciès de Bateman ? Cette gorgée de salive lentement ravalée, ce rictus de plus en plus crispé, cette sueur qui commence doucement à perler — n’oublions pas que Christian Bale est l’un des seuls acteurs à pouvoir maîtriser ses glandes surrénales. Transpirer sur commande, ce n’est pas à la portée de n’importe qui, et c’est même la raison pour laquelle Mary Harron le surnommait Robo-Actor. Quoi de plus approprié pour quelqu’un qui occupe le rôle de Patrick Bateman ? Les protagonistes sont tous atteints d’une superficialité incurable, qui tombe souvent dans le ridicule. Bret Easton Ellis est d’ailleurs le premier à en rire, comme il l’expliquait sur le plateau de Charlie Rose en 2000. « Je pense que cette scène souligne l’humour du roman. Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas, c’est que c’est une comédie sombre. C’est de l’humour noir ». Le titre du premier chapitre est d’ailleurs daté au premier avril.

// LET’S SEE PAUL ALLEN CARD

« Je n’avais pas pensé en écrivant cette scène que ce serait une des plus drôles du livre, mais quand je la vois dans le film, avec le montage et la musique à suspens, j’explose de rire à chaque fois » poursuit l’auteur. La cinéaste Mary Harron a d’ailleurs veillé à ne pratiquement rien changer de cette scène, qui était déjà parfaite dans le livre. « J’adore l’idée que ces gars sont tellement obsédés par la minutie des choses, qu’ils se rendent malades sur des micro-détails » expliquait-elle à Charlie Rose. L’ironie ultime, c’est que lors de la première du film, personne n’a ri dans la salle, à l’exception de deux personnes — Mary Harron et Christian Bale, qui étaient hilares d’un bout à l’autre de la satire. 20 ans plus tard, bien au-delà de la violence, c’est bien cet humour noir qui survit le mieux au film.

➔  Extrait de S!CK #024. On prolonge notre exploration de Patrick Bateman et des coulisses du film avec son chef décorateur Gideon Ponte dans notre numéro American Psycho, maintenant dispo sur le shop et en librairies.

Par Yox Villars // + Read More
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