Brycecorp retrace les débuts du phénomène Metal Gear Solid

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Lors de sa sortie en 1998, le premier Metal Gear Solid a fait l’effet d’un séisme. Une claque silencieuse, portée par un héros invisible. Plus que la vitrine technologique de la première PlayStation, le chef-d’oeuvre d’Hideo Kojima (jusqu’ici méconnu) a pris de cours toute une génération de joueurs.

Pour mieux comprendre son impact, nous avons discuté avec BryceCorp, collectionneur et pionnier de l’import japonais en France, qui était aux premières loges du phénomène Metal Gear Solid à ses débuts.  À mi-chemin de l’écriture de notre numéro 17, une question nous a subitement frappée. Peut-on vraiment parler de Metal Gear Solid en laissant de côté tout l’aspect humain de cette formidable saga ? Derrière la cinématographie révolutionnaire, derrière la force évocatrice de la soundtrack et des débuts du genre infiltration, il y avait aussi un engouement. Une effervescence. Celle de milliers de joueurs des années 90, qui découvraient à l’unisson un objet vidéoludique qui allait changer notre perception du jeu vidéo. Beaucoup se souviennent de cette époque avec nostalgie, de ce premier contact décisif avec ce qui deviendra un classique instantané.

Un trailer, un screenshot, une jaquette : il n’en fallait pas plus pour savoir que nous étions face à quelque chose de différent. « Je me souviens de la beauté de la base militaire bleutée de Shadow Moses. Je n’avais jamais vu un réalisme pareil à cette époque » explique BryceCorp. « À partir de ce jour-là, j’ai suivi toutes les informations publiées dans les magazines. Tous les mercredi après-midi, les passionnés se retrouvaient à la boutique Ultima à Toulouse. C’était le top du top en matière d’import ! Je me souviens qu’on attendait tous la version japonaise de Metal Gear Solid. C’était l’époque où on pouvait pucer la première PlayStation et faire tourner les jeux en imports, et on se demandait tous si on allait prendre la version japonaise ou attendre la version américaine ». Le 3 septembre 1998, les premières versions japonaises du jeu débarquent sur le territoire français, grâce à l’industrie limitée de l’import qui se développait dans certaines boutiques indépendantes de jeux vidéo. C’était aussi le cas à Ultima. « On avait eu peu d’exemplaires, parce qu’on avait lu dans les magazines que le scénario du jeu était plutôt développé. On avait 4 ou 5 copies physiques du jeu. Très très peu. Mais je me souviens de la jaquette qui m’avait impressionné par son côté minimaliste. La beauté du logo. La verticalité, on était dans le futur rien qu’en regardant la boîte ».

// L’IMPACT D’UNE JAQUETTE

Des années après, la jaquette japonaise de Metal Gear Solid reste un modèle de design percutant et de minimalisme intemporel. On s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de l’aspect futuriste et dépouillé des versions japonaises du jeu dans la mise en page et le graphisme de notre numéro 17. La fin des années 90 et le début des années 2000 représentent une certaine forme d’âge d’or en matière de graphisme, également porté par les somptueuses jaquettes des jeux WipEout sur PlayStation 1, créées par les talents britanniques de Designers Republic. La jaquette japonaise de Metal Gear Solid répondait néanmoins à cette épuration totale, portée par la philosophie du « Less is More », qui tranche de manière radicale avec les designs parfois surchargés des enseignes et des magazines au Japon. « C’était pareil pour la boîte de Final Fantasy VII » nous explique BryceCorp. « Elle affichait juste le logo noir sur un carré blanc, c’était vraiment fou. Bien plus joli. On avait l’impression de voir un produit de luxe ».

Parallèlement, les magazines de jeux vidéo français (et mondiaux) commencent à publier leurs premiers retours, suite à des présentations de Konami qui avaient déjà correctement échaudé la presse. Les superlatifs des journalistes témoignent déjà de quelque chose de faramineux. Mais le bouche-à-oreille va drastiquement s’accentuer avec l’arrivée des premières versions japonaises sur le sol français. BryceCorp, et d’autres joueurs se sont lancés dans l’aventure, parfois sans comprendre un traître mot de japonais. « J’ai craqué sur la version japonaise, en partie parce qu’il y avait la démo de Suikoden. J’ai commencé à jouer, et j’ai galéré comme un rat. Mais vraiment. Psycho-Mantis pour moi c’était absolument impossible. J’ai mis au moins une journée entière avant de piger la stratégie du changement de port de manette. Pour le code du CODEX de Meryl (qui était noté au dos de la boîte du jeu), quelqu’un me l’avait dit au magasin. Je ne te raconte même pas l’histoire des cartes magnétiques ».

// LES PRÉMICES D’UNE DÉFERLANTE

« Mais à côté de ça, tant de choses m’avaient déjà conquis. Des sons, surtout. Le petit bruit quand tu navigues dans les menus, le sample quand tu te fais découvrir par un garde, la musique du Game Over qui était folle… La sonnerie du CODEC ! Des années après, c’est ça qui me reste » nous explique Bryce. « Je me souviens aussi m’être pris une claque monumentale en écoutant le CD audio de la version collector japonaise. Putain, j’ai dû l’écouter au moins 50 fois ce truc. C’était l’époque du CD, on écoutait ça tous les jours sur la chaîne Hi-fi. Pour moi c’était une révélation totale. Ça fait partie des musiques qui m’ont le plus marqué à l’époque de la PlayStation 1 ». Une bande originale, une atmosphère, un gameplay qui ne ressemble à aucun autre : le premier Metal Gear Solid s’était déjà forgé une réputation avant même qu’une version francophone ne soit disponible. Toutes les étoiles semblaient alignées pour une déferlante lors de la sortie française, en février 1999.

Vers le début des années 2000, la sortie française du jeu faisait état d’un vrai phénomène naissant. Les conversations autour de Metal Gear Solid ont dépassé les simples murs des shops de jeux vidéo. On en parlait dans les cours de récré, entre amis, portée par la déferlante populaire de la première PlayStation. « Je me suis vraiment rendu compte du phénomène quand j’ai vu qu’il y avait un collector Metal Gear en France » nous explique BryceCorp. « Et à l’époque, c’était très très rare. Il y avait déjà un sens poussé de la mise en scène et du marketing autour des jeux. On avait des PLV grandeur nature, ce qui n’était pas non plus très commun, même pour les très gros jeux. Pour moi c’était un tournant de voir l’ambition de Konami sur le marché français ».

// LA NAISSANCE D’UN PHÉNOMÈNE

Un petit peu plus tard, Bryce est lui-même parti au Japon pour se lancer à son tour dans l’import. C’est là qu’il a chopé le collector japonais, puis un autre pack premium. Une sublime édition dorée (très rare) du premier Metal Gear Solid, offerte par Konami aux actionnaires. « Je suis tombé dessus par hasard, dans une boutique à Osaka dans le quartier du jeu vidéo qui s’appelle Nipponbashi. C’est un peu l’équivalent du quartier Akihabara à Tokyo, en plus petit. Il y avait beaucoup de très bons magasins à l’époque. Tellement de choix ! Derrière le comptoir, il y avait une étagère avec les plus beaux objets qui n’étaient pas à vendre. Je me souviens avoir vu le coffret Metal Gear en doré, et j’ai trouvé ça magnifique. J’ai remarqué qu’il y’avait des Kanji écrits dessus, et je me suis dit que ça devait être une version encore plus collector que la mienne. J’ai demandé au vendeur si c’était possible de l’acheter, et il m’a répondu hors de question. J’ai réessayé plusieurs fois dans les mois suivants, encore et encore. Puis un jour, un autre mec me l’a vendue, et je suis reparti avec. Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait d’une édition dédiée aux actionnaires de Konami ».

Mais remettons les choses à leur place : derrière le marketing, les collectors et toutes les opérations coup de poing de l’éditeur, c’est bien le jeu en lui-même qui parle le plus fort. C’est bien la puissance narrative du jeu, socle de multiples révolutions, qui est à la source de son incroyable succès. Pratiquement du jour au lendemain, Hideo Kojima est devenu un nom qu’il fallait retenir, surveiller. Et les premiers jeux du créateur se sont mis à trouver une nouvelle jeunesse. Ce qui est drôle avec l’explosion de Metal Gear Solid au débit des années 2000, c’est qu’elle a engendré un phénomène inversé de regain pour les premiers Metal Gear, qui étaient restés très confidentiels, que ce soit auprès de la presse ou bien des professionnels de l’import.

// LE REGAIN DES ÉPISODES FONDATEURS

« Je n’avais jamais entendu parler de Metal Gear avant Solid. Et je ne connaissais personne qui avait un MSX ! » raconte BryceCorp. « Comme beaucoup de monde, mon premier contact avec l’oeuvre de Kojima, c’était les screenshots de Metal Gear Solid sur PlayStation 1 ». Il y a quelque chose de presque surréaliste à se dire qu’avant ça, Metal Gear était pratiquement passé inaperçu. Les deux premiers jeux portaient pourtant en eux tous les signes avant-coureurs du génie de Kojima. Les grandes idées étaient là, avec des moyens certes plus limités. Mais il y avait déjà dans les jeux MSX les préliminaires de quelque chose de grand. Le génie était là, caché à la vue de tous, prêt à exploser aux yeux du monde. L’image parfaite de Solid Snake lui-même.

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CRÉDITS/SOURCES
Par Yox Villars // + Read More
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Tous les premiers mercredi du mois, on part à la rencontre des créateur/trices du cinéma et du jeu vidéo au sein d'une newsletter cross-culture qui prolonge les réflexions du magazine. Ce mois-ci, on discute avec le concept artist d'Alien Romulus, Blade Runner et Fondation !