Comment le business des produits dérivés a-t-il façonné les Gremlins ?

La Fièvre des Némésis

On a tous croisé un jouet Gremlins une fois dans nos vies. Vous en avez peut-être chez vous. Et si les produits dérivés sont une conséquence directe de l’industrie hollywoodienne, on oublie souvent de mesurer à quel point le merchandising a pu avoir une influence sur le classique de Joe Dante. Le miracle de Gremlins, c’est d’avoir su faire coexister un film d’horreur aux tendances anarchistes avec les sirènes du mass market.

« Chaque enfant américain aimerait avoir un Mogwai » la phrase est lâchée dès le premier film, et elle ne fait plus de doute sur l’ambition à peine déguisée de Gremlins au moment de sa sortie : vendre des semis-remorques de Gizmo chaque minute que Dieu fait. Spielberg, Amblin, et la Warner voulaient une peluche Mogwai dans les bras de chaque enfant. Incroyable retournement de situation, quand on pense que Chris Columbus avait imaginé ses créatures comme des bestioles sanguinaires bouffeuses de clébards. En seulement quelques semaines, Gizmo s’est retrouvé à l’épicentre d’une intense machine de merchandising. Poster, peluche, t-shirt, jouet, jeux vidéo (bien foireux au passage), on a essayé de compter l’avalanche de produits dérivés… Mais on s’est noyé dessous.

L’aspect adorable des jouets est à la hauteur de la réaction épidermique de certains parents, lorsqu’ils découvrirent les scènes de massacre du film. Le scénario de Columbus n’hésite d’ailleurs pas avouer qu’en gros, le père Noël n’est rien d’autre qu’un énième fait divers de daron un peu trop ambitieux qui s’est étouffé dans le conduit. Face à la gronde autour de Gremlins à sa sortie en 1984, Spielberg va finalement décrocher son téléphone, et suggérer au président de la MPAA (l’organisme de classification des films aux USA) de créer le PG-13, qui est un peu l’équivalent de la mention « déconseillé aux moins de 12 ans ». Cette dernière va changer énormément de choses à Hollywood, principalement parce qu’elle permet d’avertir les esprits vraiment sensibles, tout en évitant de se fermer les portes très rédhibitoires du Rated-R (déconseillé aux mineurs). Une classification autrefois punitive, n’était généralement pas le meilleur argument à dégainer pour un film qui entend vendre des cartons de peluches.

// UN MOGWAI POUR CHAQUE ENFANT

C’est d’ailleurs ce même merchandising qui deviendra l’une des cibles privilégiées de Joe Dante dans la satire de Gremlins 2. Voilà peut-être pourquoi Spielberg a eu autant de mal avec The New Batch. Ça ne l’a pourtant pas découragé, puisqu’il a par la suite missionné Joe Dante sur Small Soldiers, qui représente à bien des égards l’un des summums en termes de film produit (S!CK #005 / P98). Le genre destiné à vendre des jouets, et rien d’autre que des jouets (le Final Cut appartenait à Burger King, dont le contrat juteux allait même jusqu’à surclasser l’influence de Joe Dante qui occupait le poste de réalisateur).

Heureusement pour lui, Gremlins n’a jamais atteint les sommet de Small Soldiers en matière d’ambitions mercantiles. Probablement parce que, contrairement à Small Soldiers, le film était à l’origine une série B d’horreur à moyen budget, qui n’avait aucune ambition dans le domaine des produits dérivés. C’est la décision de Spielberg de donner du galon à Gizmo, et probablement la perspective d’un solide retour sur investissement en termes de merchandising, qui a poussé Amblin et la Warner à offrir plus de budgets à l’invasion anarchiste de Joe Dante (qui coûtait déjà bien plus cher que les plans originaux de Spielberg). Et ils ont eu bien raison. Le business de produits dérivés de Gremlins est encore à ce jour, colossal. Il n’y a pas un Noël depuis 1984 où on ne voit pas passer une bouille de Mogwaï, sur un pull, un mug ou bien une figurine. Il en existe d’ailleurs de somptueuses, qui rendent justice au monumental travail de Chris Walas sur les effets spéciaux. Sans le plan marketing qui s’est tissé autour de lui, il faut admettre que Gremlins premier du nom n’aurait pas été le même film. C’est d’ailleurs ce qui en fait l’un des rares cas, avec Star Wars, où ce n’est pas simplement le long-métrage qui nourrit le business des produits dérivés, mais aussi l’inverse.

➔  Extrait augmenté de S!CK #016 – Le double numéro Gremlins. Les 164 pages de notre invasion de mogwaïs sont dispo sur le shop.

Par Yox Villars // + Read More
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