Difficile d’oublier le boss final d’une aventure comme Dark Souls 3. Nichée au pied d’une éclipse figée dans une aura de fin du monde, l’Âme des Cendres se dresse comme l’ultime obstacle de la trilogie de From Software. S’il n’est pas le plus difficile du jeu, le Soul of Cinder reste à ce jour une digne conclusion, qui représente la fin d’un cycle à plus d’un titre.
Certains/nes l’aurait peut-être espéré plus robuste, plus imposant, plus éprouvant. Mais plusieurs années après la sortie de Dark Souls 3, il faut rendre à From Software le crédit de cet affrontement épique à plus d’un titre, qui s’en sort haut la main dans l’exercice périlleux de la création d’un boss final. Le tout dernier antagoniste d’une saga comme Dark Souls est forcément soumis aux attentes les plus élevées, tout particulièrement auprès d’une trilogie qui a fait des affrontements de boss sa spécialité. On pourrait argumenter que la création d’un antagoniste pour les dominer tous ressemble fort à une tâche impossible à satisfaire, mais Soul of Cinder s’en tire avec les honneurs, offrant au joueur un combat mémorable dans un cimetière de l’apocalypse, où se joue rien d’autre que le destin de la flamme. Le challenge élevé (et parfaitement équilibré) de cet affrontement laisse la marque d’un souvenir grandiose, ce qui n’était pas forcément gagné d’avance.
On se souvient encore de Gwyn, le boss final du premier Dark Souls que l’on pouvait vaincre avec une série de parades au bouclier parfaitement exécutée, ce qui avait tendance à minimiser la satisfaction finale de terminer un jeu qui nous avait pourtant infligé les Quatre Rois, Blighttown et la Forteresse de Sen quelques heures plus tôt. Dans une interview pour l’art-book Design Works, le créateur Hidetaka Miyazaki exprimait d’ailleurs sa relative déception vis-à-vis des mécaniques du boss du premier Dark Souls. « En ce qui concerne le gameplay, je pense qu’on aurait pu aller plus loin avec ce personnage. C’était notre dernier boss, et le concept du personnage était de permettre aux joueurs d’utiliser des compétences développées au cours de leur partie. Je voulais qu’ils utilisent tout ce qu’ils ont appris jusqu’ici pour battre Gwyn ». Les artistes Masanori Waragai et Daisuke Satake ironisaient sur le fait qu’il suffit de « parer, parer, parer », ce à quoi Miyazaki répondait – « C’est la vérité… Je regrette que le combat ait tourné de cette façon ». Malgré cet aveu, Gwyn du premier Dark Souls n’en restait pas moins un adversaire de taille au design exceptionnel, doublé d’une rencontre marquante accompagnée d’un thème au piano absolument divin signé Motoi Sakuraba, dont les notes hantent encore les joueurs à ce jour.
// LE FANTÔME DE GWYN
En termes d’atmosphère, le face à face avec Gwyn reste un moment particulier, qui offre au premier épisode une conclusion douce-amère parfaitement dans la tradition des Souls. Mais son « échec » relatif dans sa manière de stimuler le joueur est quelque chose qui n’a jamais quitté Miyazaki jusqu’à Dark Souls 3, dont les enjeux semblaient décuplés. L’Âme des Cendres se devait non seulement d’être le digne point culminant du troisième épisode, mais aussi de toute la saga qui arrivait à sa conclusion. D’autant plus que pris par le développement de Bloodborne, le créateur Miyazaki n’était pas directement présent sur Dark Souls 2. Comme pour répondre dignement aux ambitions du premier Dark Souls, l’Âme des Cendres prend le parti-pris de se dresser comme un boss « global », qui regroupe différents styles de jeu dans un seul et même combat. Une démarche qui trouve aussi un véritable sens dans le lore du jeu, puisque que Soul of Cinder est littéralement présenté comme la somme de tous les Seigneurs des Cendres. Sur le papier, ce n’est rien de moins qu’une concrétisation de la vision que Miyazaki entretient depuis le premier boss de Demon’s Souls. À savoir que le boss représente l’épreuve ultime, le test fatidique qui vous mettra face à une version exacerbée de tout ce que le niveau vous a appris. L’âme des Cendres applique cette méthodologie à la saga Dark Souls tout entière.
Dans les faits, sa première phase est divisée en quatre styles de jeux, encapsulés au coeur de la Firelink Greatsword, une épée versatile capable de se muter en lance, ou d’envoyer de la sorcellerie et de la pyromancie. Chaque phase possède sa cadence, ses patterns à éviter, et ses fenêtres d’ouvertures à maîtriser. Les amateurs/trices de Mokujin dans Tekken ne s’y perdront pas – vous ne pouvez jamais savoir quel style de jeu l’Âme des Cendres va adopter. Et c’est cette imprévisibilité qui en fait selon nous un excellent boss qui vous laisse constamment sur vos gardes, et puise dans les retranchements de votre faculté d’adaptation (soit le coeur du gameplay des Souls). Puis vient le temps de sa deuxième phase, durant laquelle l’Âme des Cendres se recentre sur un seul style de combat, relativement dévastateur. Si vous avez vu le bout du premier Dark Souls, certaines attaques vous semblent familières, au même titre que les notes de piano qui envahissent discrètement l’arrière-plan…
Au fil du combat, vous réalisez que vous êtes à nouveau face à un ersatz de Gwyn, qui semble venu prendre sa revanche après sa défaite dans le premier Dark Souls. Sauf que cette fois-ci, le Seigneur a appris de ses erreurs. Il n’est plus possible de le contrer avec une simple parade, et le combat prend une tournure fratricide, qui devient tout ce que le boss du premier Dark Souls aurait pu être. Les lacérations de ce Gwyn réincarné font mal, poussant le challenge à son paroxysme. Pour parfaite la ressemblance, la zone de l’affrontement porte le même nom que le théâtre funeste du premier jeu (Kiln of the First Flame). Enfin, les notes mélancolique du thème de Motoi Sakuraba parachèvent cette sensation de clore tout un chapitre de la ludographie de From Software.
➜ On explore les recoins torturés du labyrinthe de Hidetaka Miyazaki dans S!CK #021 – Le numéro Dark Souls. 172 pages de cross-culture et de dark fantasy, disponible sur le shop.