Rafal Jaki nous raconte ses influences pour Cyberpunk Edgerunners

L'antre de la Création

Véritable bombe d’animation, Cyberpunk Edgerunners offre une vision plus humaine de l’univers de Mike Pondsmith. On a demandé à Rafal Jaki, le créateur de la série de nous en dire plus sur les choix, les conséquences, et les inspirations d’une des meilleures séries animées de ces dernières années.

« Pour moi, le but était avant tout de rendre hommage aux grandes œuvres du passé. Akira étant mon film préféré de tous les temps. Mon espoir était que nous puissions amener quelque chose de petit, mais de nouveau au répertoire épique que constituent les fictions du genre » nous raconte le créateur Rafal Jaki. Il faut savoir que comme vous (probablement) et moi, le créateur polonais est un véritable amoureux de l’animation japonaise. Lorsque cet ancien du studio CD Projekt Red (à qui on doit Cyberpunk 2077) s’est rendu pour la première fois dans les bureaux japonais du studio Trigger, il était tout aussi intimidé que n’importe quel fan du collectif à qui on doit des bombes comme Kill la Kill ou Promare. Reconnaissables entre mille, les productions Trigger percutent les rétines d’un style radical, aux visuels colorés et explosifs. Pas étonnant que Rafal Jaki se soit tourné vers eux pour donner vie à une série animée prenant racine dans le paysage urbain surchargé et stroboscopique de la saga Cyberpunk.

// SUR LES TRACES D’AKIRA

Il faut dire que l’animation a toujours été un médium privilégié pour représenter les proportions dramatiques de ce futur hors-norme. C’est ce que l’on remarquait dans notre article sur le cyberpunk japonais publié dans le numéro Akira (S!CK #015) — armé d’un simple crayon, il n’y a littéralement pas de limite dans la représentation de ces cités hyperboliques.  Dans Edgerunners, l’existence du héros David bascule le jour où il met la main sur un implant cybernétique — le Sandevistan, qui lui servira de nouvelle colonne vertébrale. Ce dernier décuple drastiquement les réflexes de David, son temps de réaction accélère tellement que lorsqu’il active le Sandevistan, le monde autour de lui donne l’impression d’être au ralenti. C’est aussi un trait psychologique du héros — toujours en fuite vers l’avant, il ne s’arrête littéralement jamais, laissant les traumatismes s’entasser dans le sillage de sa courte existence.

« Le truc de David c’est de courir vers l’avant sans forcément se demander si c’est vraiment la bonne chose à faire » nous explique le créateur Rafal Jaki. Si on regarde bien, David Martinez coche toutes les cases du héros typique du shonen — un orphelin un peu naïf et innocent, soudainement doté d’un pouvoir surpuissant qui va le lancer dans une quête initiatique où ses premiers adversaires vont finalement devenir sa seconde famille. Mais le cycle évolutif de David se fait sur un laps de temps très réduit — 10 épisodes seulement, contre plusieurs centaines pour la plupart des shonen nekketsu comme Bleach ou Naruto, qui s’étalent sur plusieurs décennies. La notion d’expérience accumulée prend alors tout son sens.

Tous les ennemis vaincus, tous les challenges péniblement surmontés depuis l’adolescence finissent par aboutir à une expérience aux proportions humaines, finalement très similaire à celle de la vraie vie — si on passe outre les formes Super Saiyan et les renards à neuf queues. David, lui, ne bénéficie pas du luxe d’affronter les conséquences de ses échecs. Sa vie est un cheat code perpétuel. « Il pense qu’il est spécial, mais tous les implants cybernétiques sont des raccourcis » poursuit Rafal Jaki. « C’était important pour moi que l’on envoie la facture aux personnages qui utilisent cette technologie. Le jeu Cyberpunk 2077 avait pour objectif de placer l’immersion au cœur de l’expérience, mais pour la série animée, nous voulions maintenir à tout prix la suspension d’incrédulité. Si on évoque l’idée d’effets secondaires aux implants cybernétiques, alors ces derniers doivent se matérialiser. De la même manière, si on dit que les mega-corporations tirent les ficelles de ce monde, alors si vous les provoquez, vous ne pourrez pas vous cacher des conséquences ».

// SHONEN EN ACCÉLÉRÉ

Ce n’est d’ailleurs pas anodin que la série s’ouvre sur une scène de cyberpsychose — un état paranoïaque lié à une surdose d’implants synthétiques (menant généralement à la mort), qui ne servait que de prétexte à une série d’affrontements dans Cyberpunk 2077. C’est pourtant l’un des traits les plus intéressants de l’univers créé par Mike Pondsmith, dans lequel l’esprit humain n’est capable de supporter qu’un certain niveau de métamorphoses mécaniques avant de craquer. Essentiellement, si quelqu’un n’a de cesse de charcuter ses propres chairs, que reste-il de son humanité ? Si le jeu utilisait les implants cybernétiques pour offrir aux joueurs une position de toute-puissance, Edgerunners nous rappelle que le firmament de l’avancée technologique est (comme souvent) la source de notre plus grande malédiction. La cyberpsychose est un spectre qui plane sur plusieurs personnages de la série, à commencer par Maine, le mentor de David body-buildé au chrome. C’est aussi ce qui a fini par transformer Adam Smasher en véritable machine à tuer — une montagne d’acier homicidaire, que Johnny Silverhand (le rockeur campé par Keanu Reeves) affronte dans Cyberpunk 2077.

Il faut d’ailleurs savoir que les décors préétablis du jeu ont servi de fondation à toute la conception de l’univers artistique de la série. Les animateurs du studio Trigger comme Hiroyuki Imaishi ont littéralement constitué leurs arrière-plans à partir de captures réalisées depuis la version tridimensionnelle de Night City. « Edgerunners a énormément bénéficié des concepts qui ont été faits pour le jeu » nous explique le showrunner. « Il y a des choses qui n’ont même pas fini dans le jeu final, mais qui ont été explorées visuellement dans la série. Plusieurs artistes de chez CD Projekt Red ont proposé leur direction, mais le studio Trigger possédait déjà une version du jeu avant même sa sortie, donc ils pouvaient vraiment visiter la ville et voir les choses de très près ». On retrouve par exemple cette architecture très verticale qui rappelle le Néo-Tokyo de Katsuhiro Otomo, sans oublier ces super-buildings qui contiennent des villes entières — la représentation 3D de Night City était sans conteste le point culminant de Cyberpunk 2077, il est donc logique que Edgerunners en ai tiré son principal point d’inspiration.

Là où la série excelle néanmoins, c’est dans sa manière de nous présenter l’immensité de Night City sous un angle plus intime. Au centre du récit se dresse en effet une histoire douce amère — celle de David et Lucy, une hackeuse / netrunner au lourd passé, qui cherche un moyen d’évasion à la fourmilière interconnectée de Night City. Ce sont eux — les deux gamins assis au bord d’un toit, qui rêvent d’aller sur la Lune. « Le rêve de Lucy d’aller sur la Lune est une idée du studio Trigger » nous raconte Rafal. « Ils voulaient offrir un échappatoire tangible à Night City. Toute l’histoire gravite autour de l’idée des rêves en contraste avec cet environnement néo-noir injuste, dans lequel le système gagne toujours et un héros ne peut pas vraiment changer la donne. C’était important de montrer la lutte de cette poignée de gens qui essayent juste de vivre leur vie comme ils l’entendent ».

➔ Extrait de l’article « Fast Forward Shonen », à lire dans S!CK #025. Rendez-vous sur le shop pour recevoir votre exemplaire.

Par Yox Villars // + Read More
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