The Office, retour sur l'épisode du baiser improvisé de Steve Carell

Dissection d'Épisode

On parle souvent de l’improvisation des acteurs comme l’une des clés de la réussite de The Office. Il existe néanmoins dans la série une scène d’improvisation qui les domine toutes. Un moment volé exquis et incroyablement gênant, où Michael Scott embrasse Oscar juste après que ce dernier ait fait son coming-out. Un moment de comédie grinçante comme on en a rarement vu qui s’attaque frontalement au sujet de l’homophobie au bureau.

Diffusé pour la première fois en septembre 2006, l’épisode Gay Witch Hunt ouvre la troisième saison de la plus mémorable des manières. Pour restituer le contexte, Michael s’est attiré les foudres de son némésis Toby des ressources humaines, après une blague douteuse sur la sexualité d’Oscar, qui va pousser le comptable à faire son coming out devant tous ses collègues de travail. À partir de là, le pire va se produire. Ou plutôt, Michael Scott va se produire. Inquiet pour son image, le manager de Dunder Mifflin va tenter de se faire pardonner d’Oscar de la plus étrange des manières (avec sa bouche). Alors que le comptable cherche à noyer le poisson par tous les moyens, Michael refuse de passer à autre chose, afin de pour montrer qu’il est un boss « ouvert d’esprit ». Tout l’épisode est une accumulation crescendo de comportements inappropriés. Il y a d’abord ce moment (irréel) où il demande à Dwight de télécharger de la pornographie gay, qu’il regarde directement dans l’open-space. Puis, dans un élan de logique terriblement tordue, Michael finit par décider que le meilleur moyen de montrer qu’il accepte la sexualité d’Oscar est de l’embrasser directement, face à l’audience médusée du bureau.

Après avoir sauvagement (et logiquement) rembarré Michael, il y a ce moment d’une rare fugacité, où Oscar décide d’accepter le baiser de réconciliation de Michael. C’est durant cette seconde (superbement jouée) que le personnage réalise qu’il s’adresse à quelqu’un de sincèrement ignorant, sclérosé d’un handicap social qui le rend régulièrement inadéquat en public. Le baiser en lui-même était cependant une limite que les scénaristes eux-mêmes n’étaient pas prêts à franchir dans le script. Dans le podcast Office Ladies, Jenna Fisher expliquait qu’à l’origine Michael devrait embrasser Oscar sur le front. C’est Steve Carell qui a décidé de lui-même d’improviser cette version, à la surprise générale. Y compris celle de l’acteur Oscar Nunez, qui n’as strictement rien vu venir. Dans un entretient avec Andy Greene pour le livre The Untold Story of The Office, Oscar Nunez explique : « On faisait que refaire la scène encore et encore, et on s’enlaçait… Mais Steve a senti qu’il manquait un truc, et il avait raison ».

// L’INTELLIGENCE DANS LA BÊTISE

Dans la scène en question, on voit Oscar bloqué (presque tétanisé) incapable de réagir à ce qui lui arrive. Nunez n’a jamais eu l’opportunité de se préparer à la scène du baiser, et c’est peut-être une des clés de sa sincérité à l’écran. En réalité, personne n’était vraiment prêt pour ça. Ni Oscar, ni le public, et encore moins le reste des acteurs dont certains ont eu du mal à contenir leur surprise tout en restant dans le personnage. Si on regarde bien, on peut par exemple voir BJ Novak (Ryan Howard) tourner la tête pour ne pas exploser de rire. Pris par l’effervescence de l’improvisation, l’acteur Rainn Wilson (Dwight) s’est alors lui aussi mis à improviser en essayant d’embrasser Oscar, avant de se faire rembarrer par Michael. Rien de tout ça n’était prévu, et c’est en partie ce qui rend le moment aussi drôle : l’instant éphémère échappe au contrôle de ses créateurs. Ce sont juste les personnages qui s’expriment sans filtre. C’est plus ou moins toute l’essence de The Office, qui puise toute sa force dans sa manière de faire exister le surréalisme au sein de moments qui paraissent (étrangement) naturels.

Et si l’attention est évidemment sur Oscar et Michael, le réalisme transparaît aussi dans les réactions du reste du casting. La magie des petits regards volés a rarement été aussi forte que dans cet épisode (Stanley en lâche un phénoménal). Kelly est émerveillée, Angela donne l’impression qu’elle s’apprête à déclencher l’armageddon avec son regard, même Meredith est estomaquée. Cet état d’hallucination collective souligne une autre des forces universelle de The Office : sa salle de conférence. L’arène, le purgatoire, ce petit théâtre privé de toutes les démonstrations de Michael, où les murs sont souvent trop étroits pour l’énormité des choses qu’il s’y passe. C’est le réalisateur Ken Kwapis qui avait eu l’idée d’agglutiner tout le casting dans cette salle restreinte, dès l’épisode Diversity Day. La sensation d’étouffement et de huis clos qui en ressort ne fait qu’accentuer l’impact de la comédie. « Ce qui est bien avec la salle de conférence, c’est qu’elle créer une audience d’employés attentifs aux comportements grinçants de Michael Scott » expliquait Kwapis dans une interview avec Uproxx. Si l’open-space de la série est une grande scène à découvert, la salle de conférence est un théâtre de poche. Un lieu d’intimités brisées, où la portée des extravagances de Michael est décuplée. La scène est tellement marquante qu’on en oubliait presque que Gay Witch Hunt marque aussi l’arrivée de Ed Helms (Andy Bernard) et Rashida Jones (Karen Filippelli) dans la série.

// LA MAGIE DE LA SALLE DE CONFÉRENCE

Gay Witch Hunt est un épisode important dans The Office, car à l’image de Diversity Day, il démontre toute la force scénaristique de la série, qui parvient à aborder des sujets délicats (on parle quand même d’un coming out forcé), tout en restant sincèrement drôles. Au moment de sa diffusion en 2007, Gay Witch Hunt a participé à l’ouverture d’un dialogue sain sur l’homophobie au bureau, explorant l’idée que toutes les discriminations ne sont pas le fruit d’une intention maléfique, et la nécessité de dialogue qui en découle. Il faut vraiment souligner la force de l’écriture de Greg Daniels (également showrunner de la série), qui fait preuve ici d’une remarquable intelligence dans sa manière de souligner l’abyssale bêtise. Ce dernier a d’ailleurs reçu pour cet épisode un Emmy Award pour l’écriture d’une série comique — entièrement mérité.

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Par Yox Villars // + Read More
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