Au moment d’adapter Hellraiser au cinéma, Clive Barker n’avait pas encore de vision claire de ce à quoi pourraient ressembler ses Cenobites. Les descriptions que l’auteur en avait faites dans son roman n’étaient que très évasives. C’est en tombant sur des revues punk de piercings et de BDSM que Clive Barker a commencé à y voir plus clair. Dans cet article, je vais revenir sur ces publications parfois oubliées qui ont façonné l’univers Hellraiser.
Durant mes recherches sur la conception des Cenobites pour le numéro Hellraiser, je suis un peu sans le vouloir tombé dans un vortex de couvertures de magazines — des publications de bondage, de piercings, tatouages et de masochismes parfois bien jusqu’au-boutistes qui ont inspiré Clive Barker dans la représentation de ses Évangiles des mondes souterrains. L’une de ces publications est la revue PFIQ (Piercing Fans International Quarterly), sur laquelle Barker est tombée en traînant au QG du groupe industriel Coil, qui était à l’origine prévu pour s’occuper de la bande-son du film avant que Christopher Young ne prenne le relais (je parle de cette bande-son avortée et très expérimentale dans un autre épisode de la Pilule). Dans une interview avec Quietus, Stephen Thrower du groupe Coil expliquait que Clive Barker s’est retrouvé absorbé un long moment dans ces magazines qui traînaient sur un coin de table.
// LE MAGAZINE PFIQ
Il est clair qu’au contact de John Balance et Peter Christopherson, l’écrivain s’est immergé dans une culture crue et sulfureuse qui s’est largement infusée dans son adaptation cinématographique de Hellraiser. Publié entre 1977 et 1997, le magazine PFIQ fait partie des publications les plus controversées de son temps. Certains y voyaient de l’art là où d’autres de l’obscénité, voir de la pornographie pure et simple. On ne parle pas ici d’une simple galerie de diamants au nombril, mais de numéros entiers faits d’images crues de modifications corporelles poussées à l’extrême, de parties génitales coupées en morceaux et scarifiées. Des pénis, des vagins en pleine page, de la nudité sans complexe. Une vision du corps affranchie de toutes limites. Barker y a trouvé une source de fascination, et au moment de sa sortie en 1987, Hellraiser a fait l’effet d’un choc. Ce petit film que personne n’a vu venir interpelle tous les regards dans les allées reculées du vidéo club. Difficile de résister au charisme magnifique de Doug Bradley et de son Hell Priest à la tête cloutée, qui reste à ce jour une des visions les plus fortes que le cinéma d’horreur nous a offerte. Un design parfait, d’une rare puissance évocatrice, que l’on peut directement retracer à la culture piercing et au BDSM.
// LIMITES DU CORPS ET IMAGERIE PUNK
Néanmoins, au fil des décennies, toute l’imagerie punk masochiste s’est vue rincée par un torrent de référence culturelle qui lui a retiré une partie de son aura de terreur initiale. Passé le choc de la découverte, le côté subversif de cette contre-culture s’est peu à peu érodé pour toucher aux sphères d’une représentation plus mainstream. Le mouvement S&M a depuis été repris sur les podiums, lorsqu’il ne sert pas directement de case toute désignée pour le look prédéfini du méchant/pervers de films série B ou bad guy de série TV dans les 90’s. On retrouve beaucoup d’éléments de la culture BDSM dans des films comme Blue Velvet, American Psycho, Nymphomaniac ou la série American Horror Story qui a tendance à en extraire un côté parodique. L’imagerie a aussi largement été essorée dans la musique, que ce soit à travers des groupes de punk comme The Misfits (la liste est longue) où des icônes plus pop comme Madonna, et aujourd’hui Arca. Tout ça fait un peu écho à l’image de la dominatrix que l’on trouve autant dans Matrix que dans Street of Rage / Street Fighter (Poison).
// LA DISSOLUTION DU DANGER
Dans une interview avec Bloody Disgusting qui date de 2022, Clive Barker disait de l’esthétique BDSM qu’elle avait perdu « tout son danger ». L’auteur (qui ne s’était plus impliqué dans un film Hellraiser depuis des années) a trouvé chez David Bruckner une vision fraîche, qui se détache justement de ces lanières de cuir cousues à même la chair. Dans notre numéro 27, j’en discute avec les responsables des effets spéciaux Josh Russel et Sierra Spence qui nous ont fait l’honneur de partager leurs influences, et qui expliquent justement que l’une des idées de design du film de 2022 était de créer des Cenobites entièrement habillés de leurs propres chairs déconstruites. Dans le film, chaque créature est ornée de peau arrachée, retournée, et cousue à même le corps, de manière à créer de nouveaux « vêtements ». Pour les relier, seuls des clous, chaînes et pinces sont nécessaires, ce qui nous ramène à ces couvertures de magazines que regardait Barker en 1986. Dans un élan qui flirte avec le body horror de David Cronenberg, l’idée de la reconfiguration du corps est ici poussée à son paroxysme, jusqu’à y trouver une véritable esthétique. En regardant les Cenobites, on pourrait presque parler d’une étrange forme de beauté tordue. Le plaisir, la douleur — on ne pouvait pas faire plus Hellraiser.
➔ On prolonge l’exploration sur le classique de Clive Barker dans un dossier de +80 pages d’interviews et analyses avec côtés de Christopher Young, compositeur légendaire de la saga Hellraiser à lire dans S!CK #027.