Considérer que l’énonciation des règles du fight club par Tyler Durden est une scène culte est un doux euphémisme. Ce plan dépasse le cadre de son œuvre et du cinéma, de la même manière que l’aveu de paternité de Dark Vador à Luke Skywalker a été repris, détourné jusqu’à une extrême usure.
Et pourtant, derrière un running gag de pop culture se cache quelque chose de plus subtil, plus proche de l’obscurantisme terroriste que de la simple réunion de courtoisie illégale. Les règles sont aussi absurdes que révélatrices sur la puissance du concept. Sans en avoir l’air, Tyler ne traite pas les membres de son groupe comme des adultes en pleine conscience, des « gentlemen » comme il les appellent dans le film, mais plutôt comme des enfants à manipuler à sa guise. Les premières règles sont simples, il est interdit de parler du fight club. Sauf qu’en interdisant, en désignant l’infranchissable, en seulement quelques mots, le double du narrateur invite explicitement à franchir l’interdit. En parler, prêcher la bonne parole, convaincre d’autres âmes en quête de sens d’entendre cette bonne parole. Tyler fonde son club selon les principes de tous les grands groupes obscurs, les sociétés secrètes, qui basent leur adhérence sur l’exclusivité, l’exceptionnalité et le sentiment d’appartenir à quelque chose de bien plus grand que le commun des mortels.
La répétition des deux premières règles n’est pas anodine. C’est un son de cloche, une manipulation bien pensée qui se base uniquement sur la puissance de l’intonation. « You do not talk about fight club. », et au cas où vous n’auriez pas bien compris qu’il fallait absolument en parler autour de vous « You DO.NOT.TALK.ABOUT.FIGHT.CLUB. ». L’emphase domine la règle, la forme prend le pas sur le fond et la puissance de cette répétition ne tarde pas à faire ses preuves. Si la scène est culte, c’est avant tout parce qu’elle impose immédiatement un concept fort que chacun peut s’approprier. La caméra alterne entre l’évocation des règles et l’application des règles. L’un enlève sa ceinture, l’autre sa bague. La nudité n’est pas requise, mais pour rejoindre ce club, il faut retrouver une forme de première nature et se la donner sans aucune autre forme d’artifice. Les règles sont des mantras, le silence du bruit résonne au sein de cette assemblée de reclus qui se réfugient dans les entrailles de la Terre.
Avec ses règles, Tyler fonde sa société utopique, celle d’un chaos organisé qui ne répond de rien, si ce n’est de la volonté de son créateur d’en faire ce qu’il veut. La 8ème règle enfonce le clou et dessine explicitement les contours d’un culte prêt à exploser comme une bombe à retardement. En imposant un rituel initiatique, le fight club achève sa prophétie et permet de consolider une union forte entre ses membres. Chacun est passé par le même chemin, chacun avance dans la même direction, chacun obéit aux règles, y compris celle de parler, en toute discrétion, mais toujours au plus grand nombre, de ce club prisé et machiste où la domination de la société passe inexorablement par une bonne droite dans la mâchoire.
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