En 2010, David Fincher et le scénariste Aaron Sorkin (À la Maison-Blanche, The Newsroom) présentaient l’ascension de Mark Zuckerberg dans un thriller presque étouffant, qui apportait un regard contrasté sur cet étudiant sur le point de devenir prince de la Silicon Valley.
En dressant un portrait tout sauf idéalisé du jeune créateur, le film offre un regard perçant sur la révolution numérique et le nouveau paradigme des relations dématérialisées, ses fulgurances, mais aussi ses dangers. Face à la caméra, Jesse Eisenberg explose dans l’interprétation très détachée du jeune créateur, dissimulé sous un masque glacial. Soulevé par les échanges verbaux incisifs et parfaitement millimétrés d’Aaron Sorkin, Eisenberg injecte à Zuckerberg une certaine fascination, doublée d’une puissance narrative folle, renvoyant cette image de visionnaire torturé dans ses pensées. Un véritable monstre de contrôle à la dérive, qui (dans le film) oscille constamment entre le génie et l’imposture. En se libérant d’une certaine partie des contraintes la réalité, la plume d’Aaron Sorkin sculpte un portrait bien plus dramatique de Zuckerberg, qui dans le film révèle une dimension ouvertement shakespearienne, assez loin de l’image assez lisse (et finalement très mystérieuse) du créateur de Facebook.
Dans une interview avec Empire, Sorkin est allé jusqu’à comparer son interprétation de Zuckerberg avec celle de Richard III, roi d’Angleterre qui c’était emparé du trône après la mort de son frère. Ce dernier avait déclaré illégitimes ses neveux Édouard V et Richard de Shrewsbury. Une figure historique que William Shakespeare peignait dans toute sa complexité au coeur de sa célèbre pièce, souvent adaptée au cinéma. Dans Social Network, Aaron Sorkin et David Fincher dépeignent eux aussi une ascension contrastée vers le succès, sous fond de controverse avec les frères Winklevoss (qui accusent Zuckerberg de plagiat), et son ami Eduardo Saverin (interprété par Andrew Garfield) que le jeune milliardaire semble poignarder dans le dos. La fin douce-amère du film montre le personnage d’Eisenberg seul sur son trône, qui cherche à ajouter son ancienne copine sur Facebook. Un moment de vulnérabilité qui scelle définitivement le statut de Zuckerberg dans le film, prodige érigé au rang d’antihéros fincherien.
« Le vrai drame provient du sentiment que mon personnage voit le site comme son objectif principal, avant même ses relations personnelles » expliquait Jesse Eisenberg chez Empire. « Tout le reste devient moins important, et c’est à la fois la beauté et la tragédie d’un vrai visionnaire » raconte l’acteur, dont l’interprétation reste marquée par le perfectionnisme de David Fincher, qui demandait à Andrew Garfield de l’insulter entre les prises pour le mettre dans un état émotionnel adapté à la détresse du film. « Tu es une putain de sale merde et tu as trahi ton putain de meilleur ami. Apprends à vivre avec ! ». Dans Social Network, la solitude du créateur semble tomber comme une punition divine, proche de l’ironie tragique. Bien qu’elle n’ait pas forcément plu au principal intéressé, l’approche narrative d’Aaron Sorkin n’a jamais eu vocation d’être celle d’un biopic baigné dans la véracité. Bien qu’il en prenne la trame, on peut d’ailleurs se demander si Social Network n’est pas plus un film sur l’ambition et les sacrifices, qu’il ne l’est sur le réseau social en lui-même. Au micro d’Empire, David Fincher expliquait qu’il s’agissait d’abord d’un récit sur un homme, avec une idée qui allait changer le monde. « Je me suis identifié à cette passion » expliquait le cinéaste. « À ce qu’il voulait créer, et la manière dont il voulait le créer ».
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