Braindead, aux prémices du festival gore de Peter Jackson

Ordonnance

Une expression faciale révulsée reste le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Braindead. Avant le Seigneur des Anneaux, avant King Kong, le réalisateur Peter Jackson donnait vie à une pépite de provocation et d’horreur cinématographique. Un véritable déluge de gore qui reste à ce jour l’un des plus grandes prouesses d’effets spéciaux pratiques aux côtés du The Thing de John Carpenter.

Si la carrière du cinéaste est aujourd’hui couronnée de succès, beaucoup ont tendance à oublier que Peter Jackson a longtemps tourné autour des sphères de l’horreur. En 1987, son premier film Bad Taste (littéralement mauvais goût) donnait déjà le ton. Démarré comme un court-métrage, Bad Taste fut une véritable révélation pour Jackson, qui dressait le récit d’aliens venus sur Terre pour récolter les humains afin d’ouvrir un fast-food de l’espace. Tourné en grande partie dans la ville natale de Peter Jackson, jeune cinéaste occupait presque tous les postes dans Bad Taste, de producteur à scénariste, jusqu’à acteur lui-même. C’est aussi lui qui s’occupait d’une partie des effets spéciaux de cette petite production indépendante, qui a eu un succès plutôt improbable — le film a été présenté à Cannes, et a frôlé les 30,000 entrées rien qu’en France. Un score plus qu’honorable pour un long-métrage assemblé pour un budget très limité par un cinéaste jusqu’ici amateur. Durant la production de Bad Taste, Peter Jackson (qui tournait beaucoup à l’instinct) a littéralement vu la durée du film s’étaler sous ses yeux. Il y a quelques années, le cinéaste racontait à Film Threat que les rushs sont restés presque un an sous son lit, avant qu’il ne réalise qu’il manquait à son premier film une fin digne de ce nom. Galvanisé par sa première expérience derrière une caméra, le jeune Peter Jackson décide de passer à la vitesse supérieure dès l’année suivante, en mettant sur pied le projet de Braindead.

// LE (DÉ)GOUT DE LA PROVOCATION

Après avoir entrevu le potentiel d’une comédie horrifique sur Bad Taste, Jackson veut consolider sa percée avec un long-métrage plus ambitieux, plus fort, plus imaginatif — il se prend à rêver d’une véritable symphonie prête à secouer le monde de l’horreur. Après avoir frappé à toutes les portes, il obtient un financement de 4 millions de dollars, ce qui est clairement énorme pour un film de genre en Nouvelle-Zélande. On est déjà à des années-lumière des quelques billets de Bad Taste… Hélas, le film va dans un premier temps tomber à l’eau. Dépité, Jackson ne tarde pas à rebondir avec Meet the Feebles, une comédie avec des marionnettes corrosives au possible sortie en 1989. Une oeuvre qui elle aussi, transpire l’insolence à tous les étages. Ce n’est que quelque temps après que le réalisateur parvient de nouveau à réunir des fonds (toujours très honorables) pour son projet autrefois avorté — le monstrueux Braindead. Avec cette fois-ci près de 3 millions de dollars en poche, Peter Jackson est prêt à se lancer à corps perdu dans la purge horrifique de ses rêves. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Nouveau problème : un autre film intitulé Braindead est entre temps sorti, sous la houlette du réalisateur Adam Simon. Aux USA, le troisième métrage de Peter Jackson prendra donc le nom de Dead Alive. Sur le plateau, des hectolitres de faux sang sont expulsés quotidiennement. La mixture, composée de pommes bouillies et mixées avec du sirop, finit par coller aux doigts, au sol, sous les semelles, partout. Pour le casting, c’est un véritable enfer. L’odeur fermentée du faux sang sous les lumières inonde le plateau de son effluve pestilentielle. Lorsque le tournage se déplace au studio Film & Television à Avalon, en Nouvelle-Zélande, les scènes surréalistes se multiplient en coulisse. Alors qu’il partage les locaux avec plusieurs émissions de télévision, le crew de Braindead déambule les mains pleines de sang séché. Déjà à l’époque, le film commence à se faire une sulfureuse réputation.

// PAR AMOUR DES EFFETS PRATIQUES

Et si on renifle déjà un certain goût pour la provocation, ce n’est rien d’autre que la marque d’assurance d’un cinéaste déterminé à repousser les frontières dans l’art de massacrer du zombie. Romero a dit, explosez-leur le crâne. Dans Evil Dead, Sam Raimi voulait les démembrer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pour Peter Jackson, le seul moyen d’en finir avec une créature d’outre-tombe est de la passer intégralement au mixeur. Autant dire qu’il fallait mieux être préparé pour ce genre de visuel de l’extrême. Et c’est justement là que réside tout le génie de Braindead : tous ses effets gorissimes sont faits maison, manuellement, avec des prothèses gorgées de faux sang prêtes à exploser à la moindre entaille. Il n’y a pas de renfort numérique. Chose qui n’est pas sans la prouesse technique de Rob Bottin et ses équipes sur le classique The Thing de John Carpenter (qui reste à ce jour inégalé dans le domaine). Ici, les effets spéciaux sont assurés par une petite équipe d’une dizaine de personnes. Parmi elles, Tania Rodgers et un certain Richard Taylor, qui sera par la suite amené à collectionner les Oscars pour son travail sur la trilogie du Seigneur des Anneaux, ainsi qu’une cinquième distinction pour les effets visuels de King Kong, toujours avec Peter Jackson. Ensemble, l’équipe rivalise d’ingéniosité pour créer une véritable boucherie, à base de torses arrachés et de chairs broyées sans tous les sens. Toutes les combines sont d’ailleurs réunies dans un livre maison que Taylor appelle « La bible des effets ». Par exemple, on apprend que le plateau de la maison a carrément été construit sur pilotis, afin que l’équipe puisse opérer les prothèses et les marionnettes en dessus du plancher. Sur chaque scène, Peter Jackson est ultra présent. C’est lui qui coordonne chaque mécanisme, chaque effet. Il ne se contente pas de capturer le travail de Taylor sous l’oeil de sa caméra. Il y a participé activement. Et pour cause, il admet bien volontiers que c’est son amour pour les effets spéciaux qui lui a ouvert la voie de cette industrie. Pour lui, les films n’étaient au début qu’une « excuse pour exploser des trucs, et fabriquer des monstres », raconte-t-il à Film Threat. On retrouve bien là le cinéaste qui s’en donnait lui-même à coeur joie sur Bad Taste.

// FAUX SANG ET STOP-MOTION

C’est encore lui qui participe à l’élaboration d’une séquence en stop-motion, où le rat-singe de Sumatra qui infecte tout le monde se fait atrocement assassiner. On a encore les hauts le coeur quand on repense aux yeux de la pauvre bestiole mutante qui sortent de leurs orbites (du grand art). À savoir que Peter Jackson lui-même s’est enregistré en train d’imiter tous les mouvements du primate, afin d’aiguiller le travail des artistes stop-motion. Ce genre de dévotion, ça ne s’invente pas. En parlant de monstres, l’une des plus grosses abominations du film, voire carrément du cinéma d’horreur n’est autre que le bébé Selwyn. Une espèce d’infâme nourrisson qui irradie Braindead de son aura malsaine au possible. Au micro de Ain’t it Cool, Taylor raconte qu’une mère a accepté que sa petite fille de deux ans entre dans le costume pour interpréter le rôle. Le jour du tournage, la gamine s’est retrouvée à devoir courir partout, traquée par l’horrible Uncle Les et son hachoir. Ce qui devait arriver arriva : la fillette s’est réellement mise à paniquer, et le tournage est devenu subitement beaucoup plus compliqué. Mais peut-être pas autant que le climax apocalyptique du film, où le héros Lionel s’attache une tondeuse à gazon sur le torse avant de foncer dans un tas de zombies. Bilan des courses, 300 litres de faux sang éjectés à la gloire d’un glorieux pugilat.

L’extravagance outrancière des effets gore pose une question néanmoins très sérieuse à propos du film. Comment, entant qu’audience, parvient-on à le supporter ? On parle tout de même d’une escalade de perversion qui voit les contours du récit partir d’une amourette naïve jusqu’à une pluie de viscères. La réponse se trouve dans l’humour. Si Braindead est universellement reconnu comme un monstre d’horreur, c’est aussi une comédie — une farce sanguinolente qui multiplie les gags de situation. Lorsque la caméra de Jackson s’attarde sur le pauvre Lionel entrain de courir sur lui-même dans une flaque de sang, on ne peut pas s’empêcher de penser à l’humour slapstick d’un cartoon. Sam Raimi explorait une idée pas si éloignée dans Army of Darkness, le troisième volume de sa saga Evil Dead qui convoque les canons de l’horreur et la comédie situationnelle des Trois Stooges sous le même toit (S!CK #001). Une comédie horrifique en somme, comme l’était Bad Taste, le premier film de Jackson. Braindead n’est pas une torture, c’est juste un moment fun où des prêtres démembrent du zombie à main nue, et où les balayettes sont tellement super-sonique qu’elles peuvent vous transformer en cul-de-jatte.

// LES PRÉMICES D’UN AMOUR DU PRATIQUE

C’est aussi (et surtout), un témoin prématuré de tout l’amour de Peter Jackson pour les effets spéciaux pratiques —  ceux-là mêmes qui inondaient le plateau de la trilogie du Seigneur des Anneaux quelques années plus tard. Une production de très grande envergure lors de laquelle le cinéaste néo-zélandais a souvent fait appel à des techniques d’effets pratiques dites « à l’ancienne ». Des créatures comme les Uruk-Hai ou les Orcs ont été constituées avec des prothèses et des acteurs, et de nombreuses miniatures extrêmement bien détaillées ont été conçues pour donner vie aux décors vertigineux de la Terre du Milieu. C’est par exemple le cas de la cité de Minas Tirith. Une technique que Jackson avait déjà expérimenté lui-même quelques années plus tôt sur son Bad Taste, avec certes (beaucoup) moins de moyens. Bien que le cinéaste ait eu à sa disposition beaucoup plus de moyens techniques et financiers pour donner vie aux décors pharaoniques et aux armées déchaînées de la saga de Tolkien, le cinéaste s’en est souvent remis à une approche pratique, tangible et matérielle. Un héritage finalement plus intemporel, que l’on peut retracer à Bad Taste et à la démesure horrifique de Braindead.

➜ Extrait augmenté de S!CK #007. Rendez-vous sur notre shop pour vous abonner à notre revue cross-culture ou compléter votre collection.

CRÉDITS/SOURCES
Par Yox Villars // + Read More
0
Shares
Magazine

S!CK présente le numéro Se7en

Fin des précommandes le 25 juin à 18h GMT+2

Vous qui lisez ces lignes, abandonnez toute espérance. Replongez dans la lente et minutieuse création de Se7en, le classique de David Fincher dont on a épluché les strates au sein d’un volume cinéma de 276 pages, conçu aux côtés du scénariste, monteur, sound-designer et d’une partie de l’équipe artistique qui a donné vie au classique.

Nous nous sommes replongés dans les prémices du script de Se7en aux côtés de son scénariste Andrew Kevin Walker, qui a spécialement exhumé de ses propres archives de multiples notes et recherches manuscrites sur les premières versions du script de Se7en. Au fil des +125 pages du dossier, on revient aussi sur le découpage ciselé du film avec Richard Francis-Bruce (Monteur), on décortique le processus et l’impact universel de l’introduction du film avec Kyle Cooper (Title Designer), le bruit de la pluie et la science du sound-design aux côtés de Kim B. Christensen (Sound Effect Editor), sans oublier les décors sordides et effets spéciaux macabres avec Barry Chusid (Assistant Art Director) & Margaret Beserra (Équipe des Effets Spéciaux).

SPÉCIFICITÉS ET CONDITIONS D’ENVOIS // 276 pages sans publicité – Langue française – 170 x 230mm – Dos carré collé sur papier 150gr – Impression offset française – Couverture semi-rigide, finitions soft touch – Couverture recto/verso inédite de Shawn Sheehan – Sortie estimée Juillet 2025 // Expédié par nos soins & livraison partout dans le monde. (Voir nos conditions d’envois).

S!CK #031 (CLASSIQUE) - Le numéro Se7en
18,50€
S!CK #031 (COLLECTOR) - Le numéro Se7en
28,50€ 30,00€

➜ ÉDITION COLLECTOR LIMITÉE // Pour plonger dans l’univers créatif de Se7en, nous avons imaginé avec l’artiste Shawn Sheehan un visuel de couverture doublement extensible qui s’étale sur 60cm. Ce dernier se déploie dans une édition collector limitée qui profite également de finitions cuivre sur toutes les faces de la cover, ainsi que d’un bandeau de sur-cover détachable au visuel (infernal) alternatif. Vous trouverez également un marque page recto/verso inédit signé Nicolas Bazin ainsi qu’un deck de 6 cartes à collectionner illustrées par Sévan Grand. Uniquement le temps des précommandes, les 100 premières éditions collector vendues profitent d’un Ex-Libris numéroté et signé par les artistes et intervenants de S!CK #031.

➜  CRÉATIONS & INTERVIEWS FLEUVE // Dans ce numéro, nous avons exploré la cross-culture sous l’angle du cinéma en partant au contact d’artistes et créateurs d’oeuvres comme L’Échelle de Jacob (Bruce Joel Rubin), Mars Express (Jérémie Périn, Laurent Sarfati, Fred Avril, Philippe Monthaye), The Substance (Stanislas Reydellet, Raffertie), Maxxxine (Eliot Rockett) ou encore Scavengers Reign (Sean Buckelew). Pour cet opus, nous avons travaillé avec de multiples artistes (Jacque, K. James Duval, Loïc Lusnia, Nicolas Bazin, Przemysław Berestko, Sevan Grand, Shawn Sheehan & Synopsies) qui ont parsemé nos longs formats de créations inédites.

 

➜ LE CINÉMA IMMORTALISÉ // Chaque numéro, on encapsule les liens entre jeux vidéo et cinéma aux côtés des créateurs/trices. Notre but ? Préserver ce savoir et immortaliser la cross-culture dans un artzine de collection qui traite ses sujets en profondeur et donne une parole sans limite à celles et ceux qui font le cinéma (numéros impairs) et les jeux vidéo (numéros pairs). S’abonner c’est soutenir notre démarche, et recevoir les futurs opus en avant-première. Nos précédents volumes cinéma explorent le médium à travers des contributions inédites des créateurs/trices de The Thing, Hellraiser, The Lighthouse, Poor Things, Dark City ou Event Horizon.

En optant pour la décision risquée de basculer S!CK en parution quadrimestrielle (tous les 4 mois), nous voulions d’abord nous octroyer plus de temps pour être à la hauteur de notre vision. À l’heure où le dématérialisé et la culture de l’instantané semblent l’emporter, nous voulons avancer toujours plus loin dans la direction opposée en proposant un objet papier persistant et rempli d’humanité, aux finitions soignées. Merci de continuer à nous pousser dans cette démarche de minutie et de préservation. Avec vous, nous voulons désormais utiliser au mieux ce temps pour travailler avec les créateurs/trices — échanger, partager, et faire de chaque incursion dans le Vortex quelque chose de spécial.

➔ Quand vais-je recevoir ma précommande ?
Une fois votre précommande validée, vous recevrez un premier mail de confirmation. Un second mail vous sera envoyé au moment de l’expédition finale de votre commande. Les précommandes pour S!CK #031 se terminent le 22 juin 2025 et le magazine partira à l’impression dans la foulée. Nous espérons expédier les exemplaires courant juillet.

➔ Comment suivre la production du numéro ?
De l’impression jusqu’à l’expédition finale, vous pouvez suivre les étapes de chacun de nos projets sur notre Journal de Bord.

➔ Livrez-vous partout dans le monde ?
Oui ! Les frais de port seront adaptés à la zone géographique dans laquelle vous résidez. Si vous souhaitez offrir le magazine à quelqu’un, vous pouvez télécharger et imprimer notre carte cadeau ici.

➔ Les ouvrages sont-ils bien protégés durant le transport ?
Nous faisons notre maximum pour que les magazines traversent sans encombre l’étape du transport, y compris sur les longues distances. Les magazines sont conditionnés en enveloppes bulles, colis suivi doublement renforcés ou avec des coins mousse selon la taille de votre commande. Le détail de nos conditions d’envois se trouve juste ici.

➔ J’ai une autre question et/ou j’aimerais entrer en contact avec votre SAV.
Si vous avez une question n’hésitez pas à jeter un oeil à notre FAQ complète ou bien à nous contacter (contact@sick-magazine.com). Notre SAV se tiens à votre disposition et nous ferons le nécéssaire !

Par Pharmacien du Culte
Tous les premiers mercredi du mois, on part à la rencontre des créateur/trices du cinéma et du jeu vidéo au sein d'une newsletter cross-culture qui prolonge les réflexions du magazine. Ce mois-ci, on discute avec le concept artist d'Alien Romulus, Blade Runner et Fondation !