Le générique est devenu une pièce artistique. Ce n’est plus un secret pour personne, et ça fait des années que ça dure. Si elle a souvent été prétexte à des pauses frigo chronométrées de 45 secondes, l’introduction d’une série est aujourd’hui devenue la vitrine de luxe à ne pas manquer.
On pense forcément aux bijoux que sont les ouvertures de True Detective, la peinture mécanique de Westworld. Chaque année, de nouvelles productions tentent de repousser la barre un cran plus haut. Et dans la majorité des cas, l’option « ignorer l’introduction » relève du sacrilège. En optant pour un dépouillement total, Ozark fait le chemin inverse. Les introductions du drame familial de Bill Dubuque et Mark Williams sont renversantes de minimalisme. Un fond noir, un cercle blanc, et quatre symboles. C’est tout ce que vous aurez. Mais c’est aussi tout ce qu’il vous fallait. Pensés comme un jeu de piste en début de chaque épisode, les différents symboles présentés dans les génériques d’Ozark racontent tous quelque chose sur les 50 minutes qui vont suivre. Ça peut être un marteau, un shotgun, une église ou une tétine. Le glyphe s’étale sur l’écran comme une pièce à conviction, dépouillée de tout contexte. « Démerdez-vous avec ça », semblent nous dire les créateurs.
À première vue, on pourrait penser que le show porté par Jason Bateman marche allègrement sur les traces corrompues de Lost, et de son introduction aussi mythique que controversée (S!CK #015 / P130), qui osait afficher un simple logo pixélisé sur fond noir. Un choix plutôt osé pour représenter l’une des séries les plus ambitieuses de la télévision ! Comme le générique de Lost à son époque, le contrepied d’Ozark fonctionne à la lumière surchargée de tout ce qui se fait à côté. Dans une jungle visuelle où l’opening credit s’impose comme une nouvelle forme d’expression complexe (aux budgets de plus en plus démesurés), quoi de plus punk qu’un simple logo blanc sur fond noir ? C’est un fait, la tournure simplifiée de son générique envoie déjà un message clair à propos d’Ozark. La série se détache de la masse.
// LA PROVOCATION DU MINIMALISME
Dans un sens, elle vous arrache de l’idée que vous soyez face à un énième produit formaté par le grand déversoir à images des plateformes de streaming. Une sensation qui aurait été vaine si les symboles en question n’avaient pas été porteurs de sens. Pourquoi vois-je un avion ? Qu’est-ce qui va se passer avec ce gun ? Si vous pensiez que l’épisode était tranquille jusqu’ici, n’oubliez pas la pipe à crack qu’on vous a montrée 20 minutes plus tôt. N’oubliez pas le pied-de-biche. N’oubliez pas les barreaux de la prison et le capot enfoncé. Les icônes vectorisées des différents génériques de la série sont à interpréter comme autant d’objets-totems, qui s’impriment sur nos rétines lors d’une innocente poignée de secondes, pour mieux planer sur tout le reste du visionnage.
C’est avant tout un jeu, mais c’est aussi une mise en garde. Une charade qui sonne comme un présage. Rien n’est anodin dans les génériques d’Ozark, qui sont pensés jusque dans les moindres détails. À titre d’exemple, chacun des quatre symboles que l’on aperçoit dans les génériques de la série renferme les 4 lettres manquantes du mot OZARK. Il faut vraiment avoir l’oeil, mais le premier logo cache systématiquement un Z, le deuxième un A, le troisième un R, et le dernier un K. Ça peut transparaître dans la manière dont sont posées des liasses de billets, dans la forme d’un drapeau ou dans le sens d’une seringue. C’est comme si le titre de la série elle-même était la réponse à une énigme. Le génie de la chose, c’est que lorsque le poids des minutes finit par faire son office, que votre vigilance est enfin endormie, c’est là, et uniquement là que la réalité vous ressurgit en pleine figure. Voilà ce qu’ils voulaient dire avec le gun. J’ai compris pourquoi il y avait ce foutu pied-de-biche. C’est un peu l’effet secondaire indésirable d’une introduction qui annonce aussi bien la couleur. On se sent souvent con d’avoir été dupé par les plot twist d’Ozark. Après tout, ce n’est pas faute d’avoir été prévenu.
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