Plus de 20 ans après sa sortie en salle, American Psycho est devenu un classique incontestable. Pourtant, l’éternelle question subsiste encore chez certain/es spectateurs/trices – Patrick Bateman a-t-il bel et bien commis ces meurtres, ou était-ce un fantasme malsain depuis le début ?
Pour la réalisatrice Mary Harron, la réponse ne fait aucun doute. Il est clair que Bateman est l’auteur des crimes indicibles qu’on le voit commettre à l’écran. Néanmoins, la nature surréaliste du film, ainsi que sa course poursuite finale hallucinogène avait de quoi laisser planer un doute. Que ce soit l’hallucination de la machine ATM qui lui dicte de lui filer un chat errant « Feed Me A Stray Cat », l’explosion improbable de la voiture de police, son alibi fourni par l’enquêteur à la recherche de Paul Allen, les révélations sur le fait que ce dernier soit encore vivant, beaucoup d’éléments portent à croire que le film est en réalité le simple reflet des fantasmes psychotiques de son héros. Or, d’après la réalisatrice Mary Harron, ce n’est pas le cas, comme elle l’expliquait dans l’émission de Charlie Rose au début des années 2000. « Je pense que c’est un échec de ma part, car beaucoup de gens continuent de sortir du film en pensant que ce n’était qu’un rêve. Mais je n’ai jamais eu cette intention ! Tout ce que je voulais, c’est offrir une ambiguïté comme dans le livre » explique-elle, avant d’ajouter « On pourrait avoir l’impression que c’est juste dans sa tête, mais en ce qui me concerne, ça ne l’est pas du tout ».
Il faut dire American Psycho est une oeuvre élusive par nature. Bret Easton Ellis nous livre des centaines et des centaines de pages dans l’intimité dans les pensées tordues de Patrick. Aussi traumatisantes soient-elles, ses confessions oscillent sans cesse sur la ligne entre fantasme et réalité. C’est justement tout le génie du roman. Le flou, l’incertitude, l’impossibilité de tirer le vrai du faux. Une ambivalence que les bonus du film expliquent très bien : « On doit comprendre qu’il tue vraiment tous ces gens. Il n’est juste probablement pas aussi bien habillé, les prostituées ne sont pas aussi jolies, et tout ne se passe pas aussi facilement ». Il est clair que cette ambiguïté incertaine du final de Mary Harron n’enlève rien à la qualité de son adaptation. Durant près d’1H40, la réalisatrice ne cesse de mettre en exergue l’ascension morbide de son anti-héros, produit presque parfait d’une société ultra-matérialiste à l’austérité clinique, corrompue jusque dans ses mœurs.
Devenue icônique pour toutes les bonnes raisons, l’interprétation de Christian Bale dans ces derniers instants reflète l’ironie tragique d’un personnage incompris, invisible aux yeux de tous. Après s’être livré à coeur ouvert sur ses crimes, le monde continue d’ignorer Patrick, qui affronte zéro conséquence pour ses actions. Zéro possibilité de catharsis. Personne ne le croit, personne ne l’entend, il n’y a rien à tirer de tout ça. Patrick demeure stoïque face à l’abomination de sa propre personne, et l’incapacité du monde à s’en apercevoir. L’ironie ultime, c’est qu’avec ce final ambigu, une partie substantielle du public est amenée à son tour à remettre en question les actions de Patrick. De sa réalité à la notre, personne ne semble décidé à voir le monstre pour ce qu’il est vraiment. Comme il le dit lui -même – « This confession has meant nothing ».
➜ On prolonge notre exploration de Patrick Bateman, du chef-d’oeuvre satirique et des coulisses du film avec son chef décorateur Gideon Ponte au coeur de S!CK #024 – Le numéro American Psycho.