Par les créateurs/trices de Hyper Light drifter, Solar Ash est sans conteste une des plus belles pépites indépendantes de ces dernières années. Plongé dans le monde fascinant de l’Ultravide (un trou noir qui avale tout sur son passage), on joue aux commandes de Rei qui cherche à sauver sa planète de l’annihilation.
L’occasion de parcourir un monde majestueux aux allures de jardin spacial, porté par une direction artistique et bande originale qui rayonnent à l’unisson. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu partir à la rencontre de toute l’équipe audio du jeu, ainsi que son créateur Alx Preston, qui nous raconte longuement la création de Solar Ash dans les pages de notre numéro 23. « À l’origine j’avais une idée très différente pour l’histoire et le contexte. Le jeu s’appelait Solar Ash Kingdom, mais l’idée de ce royaume ancien s’est effacée au profit de quelque chose de plus contemporain. L’univers s’est façonné différemment » explique Alx Preston, géniteur de l’Ultravide et fondateur du studio Heart Machine. En 2016, Alx faisait sensation avec une pépite indépendante du nom de Hyper Light Drifter, qui partage avec Solar Ash son amour pour les mondes reculés. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Ultravide n’est pas la définition du rien. C’est même tout le contraire, c’est tout en même temps. Un lieu où les civilisations s’écrasent les unes contre les autres. C’est le passé, le présent et le futur réunis au même endroit. C’est partout et nulle part à la fois, un purgatoire intersidéral dans lequel j’ai adoré me perdre.
« Un trou noir c’est la définition du vide, donc je sais que ça peut ressembler à une contradiction. Mais c’était justement le but » m’explique Alx Preston. « Pour moi ce n’est pas du vide, mais plutôt un monde brisé. Un monde où il manque des pièces, qui semblent s’être perdues dans un tourbillon. Les gens cherchent à combler des vides tous les jours. Ce que je veux dire, c’est que sur le plan métaphorique, sur le plan émotionnel, le vide est un concept très fort. C’est le reflet de ce que tu ressens lorsque tu traverses un traumatisme, ce vide à l’intérieur de toi que tu essayes de remplir en jetant tout un tas de choses à l’intérieur, et que tu as l’impression que ça n’est jamais suffisant. L’ultravide est la représentation de cette idée. C’est un puits sans fond ». Dans les faits, ce gouffre émotionnel prend la forme d’une étendue nuageuse aux tons pastel, que l’on navigue avec cette impression de flotter.
// L’APPEL DE L’ULTRAVIDE
Dans l’Ultravide, les ruines de civilisations oubliées s’enchevêtrent les unes dans les autres. Un concept que l’on retrouve aussi dans tout le travail sonore du jeu, comme l’explique Troupe Gammage, qui a pris le lead de la partie audio sur Solar Ash. « On a réfléchi à l’Ultravide comme cet endroit qui absorbe différents mondes, différentes planètes, galaxies, mais surtout différentes cultures qui finissent par se confondre dans un seul endroit hors du temps. Notre approche était à l’origine plus déstructurée, et on intégrait des samples de multiples genres musicaux au sein d’un seul morceau. Puis le monde créé par Alx Preston s’est stabilisé, on a commencé à voir ce désert de nuages, ce côté anarchique, mais aussi très soyeux de l’Ultravide. On a réalisé que la musique en elle-même devait s’unifier tout en puisant dans ces influences diverses. Et parce qu’on était quatre compositeurs/trices avec des univers différents, cette diversité a fini par faire sens » raconte Troupe Gammage.
Il faut dire qu’en cours de développement, le projet Solar Ash a grandi de manière exponentielle. « Le développement du jeu était un crescendo, il a fallu plusieurs années pour que l’on construise une idée claire de ce que Solar Ash allait être » explique Alex Johnson, responsable des bruitages et de toute la partie (cruciale) du sound design. « Au début, il n’y avait que quelques personnes » poursuit Troupe Gammage. « Puis soudainement on s’est retrouvé avec deux fois plus de level designers, trois fois plus de programmeurs/es, et la team audio ne bougeait pas. On s’est dit oh merde ! ». Pour pallier la croissance soudaine du projet, Troupe Gammage et Alex Johnson ont fait appel à deux renforts de choix au sein de la team audio. D’abord Sky Lu (aka Azuria Sky), une productrice et pianiste californienne de talent, qui n’avait encore jamais travaillé sur un jeu vidéo. « C’était d’autant plus un challenge pour moi » explique Sky. « Alex est venu me voir en me disant ok, on a besoin de 3 morceaux pour des boss. Et tu vas écrire la mélodie pour chacun d’eux. Donc ouais, il y avait une légère pression ». L’autre renfort n’est autre que Joel Corelitz, compositeur sur Death Stranding ou l’excellent Eastward. « J’ai adoré arriver à la dernière minute ! L’étape la plus difficile du travail de compositeur se trouve aux prémices, lorsque vous essayez de trouver l’identité sonore du jeu. Ça prend beaucoup de temps, beaucoup d’essais et une grande quantité de ce que vous faites ne finit même pas dans le jeu ! » explique Joel Corelitz.
« Mais quand vous arrivez sur la toute fin du développement, l’heure n’est plus aux discussions. La vision est claire, et vous êtes juste là pour exécuter. Et c’est ce que j’ai fait ! Je suis arrivé, j’ai écrit 30 minutes de partitions, tout a été utilisé et c’était super ! ». La composition musicale est un travail qui peut souvent être très intime, surtout dans un cadre spirituel comme Solar Ash. Mais l’univers sonique de l’Ultravide est le fruit d’un échange, voire même d’une certaine symbiose au sein de l’équipe audio. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils ont choisi de tous retravailler ensemble sur Hyper Light Breaker, le prochain jeu de Heart Machine. La première fois que j’avais parlé à Joel Corelitz pour son travail sur les musiques d’Halo Infinite (S!CK #022 / P128), il m’expliquait que ce qu’il aimait dans le jeu vidéo était vraiment l’aspect collaboratif. Puiser dans un univers, des concepts-arts, des discussions… « Nous sommes une équipe très soudée dans la collaboration, d’autant plus que la distribution des rôles au sein de la team audio change constamment » explique Troupe Gammage. « C’était vraiment une expérience unique pour nous ».
// DE JET SET RADIO A FUMITO UEDA
Solar Ash est avant tout un jeu de plateforme et d’exploration. Un très bon, soit dit en passant. Mais de manière épisodique, vous êtes aussi amenés à combattre et à escalader de gigantesques créatures — des anomalies qui arpentent les méandres de l’Ultravide. Ces séquences vertigineuses sont renforcées par une bande originale qui sort de ses gonds. Le thème auquel je fais référence s’appelle Praxis, et il est crédité à Joel Corelitz (bien qu’il soit aussi le fruit d’une réflexion collective). Ces séquences de boss sont de véritables climax dans le jeu, qui tranchent avec l’exploration contemplative de Solar Ash, et notamment cette sensation de glisse dans les déplacements qui rappelle très fortement le flow de Jet Set Radio. Le créateur Alx Preston ne s’en cache pas, il s’est littéralement inspiré de ses jeux préférés pour créer l’Ultravide. « Il faut savoir que Super Mario Odyssey est un des tout premiers jeux que j’ai cité lorsque j’ai parlé de Solar Ash à mon équipe » explique Alx Preston. « J’ai dû dire un truc un peu idiot comme Odyssey rencontre Shadow of the Colossus. Ce n’était pas l’analogie parfaite, mais c’était un bon point de départ ». Il y a en effet dans les boss de Solar Ash cette même sensation douce-amère que l’on a lorsqu’on terrasse un colosse dans le chef-d’œuvre de Fumito Ueda (S!CK #026). Ce mélange entre le soulagement d’avoir vaincu Goliath dans la peau de David, mais aussi la tristesse de voir un être majestueux (et dans le fond innocent) s’écrouler de son piédestal. Dans Solar Ash, Rei est poignardée et perd un segment de vie à chaque fois que vous tuez un boss. Comme pour Shadow of Colossus, le triomphe n’est que de courte durée. La seconde où vous achevez un boss est d’ailleurs très travaillée. On parle d’une animation puissante, presque aveuglante, qui survient à l’instant exact où vous assénez le coup final. « L’animation du moment où vous tuez le boss était très importante pour nous. Il y a ce mélange soudain entre 2D et 3D, cet effet stylistique fort et assumé. C’est une brèche qu’on a ouverte dans Solar Ash que j’aimerais pousser plus loin dans mes prochains jeux » explique Alx Preston.
Au détour de notre conversation, j’ai abordé l’idée que le feeling général du jeu me faisait penser à une scène du film Porco Rosso, dans laquelle le pilote de chasse navigue au-dessus d’un océan de nuages après avoir frôlé la mort. Le morceau de Joe Hisaishi qui accompagne cette scène (Lost Spirit) est très réminiscent de l’empreinte sonore de Solar Ash. Il faut savoir que j’ai joué à Solar Ash au moment où j’écrivais le numéro Ghibli, et que mon cerveau était encore imbibé des œuvres de Hayao Miyazaki. Mais visiblement, je n’étais pas le seul. « Les films de Miyazaki et les compositions de Joe Hisaishi étaient pour moi une base sur ce jeu » explique le lead-composer Troupe Gammage. « Ghibli était déjà une référence dans le style artistique pour Hyper Light Drifter, le précédent jeu de Heart Machine, mais en termes de musique on avait pris un autre chemin. Lorsqu’on a cherché à habiter le monde de Solar Ash, ses nuages, cette magie tridimensionnelle qui englobe l’atmosphère, les inspirations de Ghibli ont recommencé à faire sens. L’un des challenges de cette soundtrack c’était donc de se dire — comment faire en sorte que ce ne soit pas du Joe Hisaishi ? Parce que ça aurait été tellement attendu ! Rei évolue dans cet espace hors du temps, ce trou noir baigné de science-fiction, et c’était à nous d’en trouver le son ».
// L’OMBRE DE NAUSICAA
Durant le processus créatif, Sky Lu a d’ailleurs fait sans le savoir l’équivalent de ce que Joe Hisaishi appelle un « album-image », soit une collection de morceaux préliminaires qui servent à alimenter le processus créatif (des musiques qui sont d’ailleurs rassemblées sur un EP d’Azuria Sky). À ma grande surprise, le lien avec Ghibli ne s’arrête pas là. « Un de mes films préférés c’est Nausicaa de la Vallée du Vent » explique le créateur Alx Preston. « L’œuvre de Ghibli en général est une source d’inspiration sur chacun de mes jeux. J’y perçois une sorte de désolation, et cette idée de survivre dans les derniers vestiges d’une société, tirer le meilleur d’une situation terrible. Il y a une candeur dans ces films. Et bien que ce soit des animés, je les trouve assez réalistes. C’est encore plus vrai pour le manga Nausicaa qui est encore plus dense que le film. Les enjeux émotionnels mais aussi la manière dont Hayao Miyazaki considère la nature humaine ajoutent une réalité à ce monde. Y compris si ce monde est de nature totalement irréaliste, comme un cadre fantasy ou post-apocalyptique. Cette idée accompagne mon esprit depuis longtemps, et j’ai clairement cherché à l’injecter dans Solar Ash. On parle d’un jeu où tu fais du roller sur des nuages, tu parles à des fantômes de l’espace et où tu terrasses des colosses squelettiques à l’intérieur d’un trou noir ! Au bout du chemin, qu’est-ce qui te rattache à ce monde ? Pour moi, ce sont les personnages, cet état émotionnel » raconte le fondateur d’Heart Machine.
➔ Extrait de S!CK #023. Soutenez l’indépendance et la démarche d’un média qui explore explore jeux vidéo et cinéma aux côté des créateurs en vous abonnant (sans engagement) au magazine papier.