Tout ce que je sais sur Disco Elysium c'est que je ne sais rien

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Un million de mots. C’est à peu près l’équivalent d’un bouquin de 4000 pages. C’est aussi la quantité de prose expirée dans Disco Elysium, qui nous plonge dans l’errance d’un flic aux portes de l’auto-destruction. Passé quelques heures et après plusieurs centaines de dialogues ingurgités, j’ai commencé à réaliser que l’univers de ce phénoménal jeu de rôle s’expérimentait exactement comme on pourrait dévorer un bon roman.

Un polar psychédélique et captivant, que l’on traverse avec la sensation persistante d’une intense gueule de bois. De là à dire que Disco Elysium rallonge le trait d’union entre littérature et jeux vidéo, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchiront sans même le savoir. Les premières minutes du jeu nous rappellent que certains réveils sont plus difficiles que d’autres. Au-dessus de votre tête, une cravate puante tournoie inlassablement, accrochée à un ventilateur. La vitre brisée laisse un air glacial déferler dans ce lieu de perdition, qui avait autrefois l’allure d’une chambre d’hôtel. Le Whirling in Rags est devenu le dernier dommage collatéral de vos névroses. Dans la salle de bain, le reflet du miroir parachève ce difficile retour à la réalité. Mais laquelle ? Au-delà des murs qui vous entourent s’étalent les rues de Martinaise, un quartier portuaire délaissé par le gouvernement, balayé par l’air marin et la gronde qui pousse entre le démon capitaliste et un syndicat tout puissant. Aux dernières nouvelles, il semble y avoir eu un meurtre. Un type pend au bout d’une corde depuis bien trop longtemps, et vous allez devoir faire quelque chose à propos de ça. Mais voilà le truc : le héros (ou plutôt ce qu’il en reste) a tout oublié.

// POLAR VIDÉOLUDIQUE

Si Disco Elysium était effectivement un roman, sa première page serait donc blanche comme l’amnésie. Mais ce n’est pas un roman, c’est un jeu vidéo, et la peinture moderne qui se dessine sous nos yeux est là pour le rappeler. C’est aussi une question d’atmosphère, soutenue par des partis-pris artistiques tranchés. Au cours de votre enquête, vous n’entendrez presque rien d’autre que les étreintes indy-rock du groupe British Sea Power. Ça, et les voix qui résonnent dans votre tête. La première m’ordonne de reprendre mes esprits. Une autre, plus insidieuse, me demande de lécher une tâche de rhum séché sur le coin d’un bar miteux. La tentation est réelle : celle d’abandonner les responsabilités d’un badge introuvable, de poursuivre la fête en retrouvant les bras ténébreux de l’ébriété, jusqu’à ce que la grande faucheuse vienne définitivement couper la musique. Comment lui résister ?

En donnant une voix distinctive aux différents traits de la personnalité du héros, Robert Kurvitz et le studio estonien ZA/UM poussent l’aspect psychologique sur des territoires nouveaux. L’empathie, la logique, l’addiction ou l’esprit de déduction sont autant de personnages qui viennent ponctuer les dialogues avec plus ou moins d’insistance selon les statistiques que vous leur avez données. Il y en a 24 au total, quadrillant plus ou moins le spectrum de la psyché humaine, et qui s’affrontent inlassablement sur le champ de bataille de la conscience, piégés dans une éternelle joute verbale. S’en suivent des dialogues aux ramifications infinies, qui entendent représenter l’individu dans tous ses paradoxes. Et ça marche, probablement parce que le verbe y est tout simplement magnifique. On va même se risquer à dire que la traduction francophone sublime le matériel de base, en y ajoutant une immense force évocatrice. C’est peut-être ce qui donne à Disco Elysium l’impression aussi persistante d’un roman interactif, diablement bien écrit, dans lequel on choisirait de découvrir les chapitres à la carte, errant d’un personnage à l’autre, conscient que ce contrôle n’est qu’une illusion.

// STOÏCISME COSMIQUE

La vraie force du jeu, c’est de ne jamais étiqueter vos actions d’un côté du bien ou du mal. Tout ce que vous déblatérez n’aura pas forcément une incidence sur le basculement de la grande balance cosmique. C’est tout juste si vous allez faire réagir Kim, votre coéquipier de fortune, dont le stoïcisme à toute épreuve fascine à chaque seconde (il tressaille à peine lorsque j’évoque en plein interrogatoire l’arrivée imminente du grand néant qui nous engloutira tous). Certaines phrases anodines auront une influence énorme, et de grandes révélations sur le sens de l’existence ne mèneront à rien. Disco Elysium laisse de la place pour le dispensable, et on apprend à faire avec. Le jeu n’a pas besoin de punir, ni même de récompenser le joueur pour le mettre face à ses propres actions, et c’est en partie ce qui en fait quelque chose d’aussi ancré dans notre manière d’expérimenter les émotions au quotidien. Je ne sais toujours pas si j’ai bien fait de confisquer la drogue à Cuno, le sale gosse désoeuvré du quartier. Des gens sont morts parce que j’ai suivi les conseils d’une cravate possédée. Que trouve-t- on dans ce conteneur ? Cette femme est-elle aussi innocente qu’elle le prétend ? Où est passée mon arme de service ? Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien.

Dans sa mécanique pure, Disco Elysium s’appuie énormément sur le fonctionnement des jeux de rôles papiers. L’enquête est ponctuée de lancers de dés, qui vous permettront (ou non) de valider une action, un dialogue ou une percée dans votre enquête. Vos compétences, mais aussi vos actions, ce que vous avez pu dire avant, ce que vous portez dans votre inventaire, et même vos vêtements influent sur vos chances de réussite. L’issue n’est jamais garantie, ce qui tend à donner une certaine forme d’authenticité aux interactions. 

Comme dans la vie, il arrive que vous mettiez toutes les chances de votre côté, et que ça ne passe quand même pas. Il faudra alors trouver une autre solution pour arriver à vos fins. D’autres fois, vous allez y aller au culot, et l’irréalisable va se produire avec vélocité d’un coup de pied rotatif qui passe à 3% de réussite. Disco Elysium prend souvent des allures de jeu de rôle maudit, dans lequel le Game Master serait schizophrène, et où la vie et la mort se jouent littéralement, sur un seul lancer de dés. Dans tous ses paradoxes, le jeu parvient à extirper l’espoir au cœur d’une profonde déchéance, où le beau peut subitement faire irruption au détour d’une apparition mystique, de lettres qui s’enflamment sur les pavés, ou d’une improbable danse improvisée. Un déhanchement de tous les extrêmes, dans lequel l’âme du disco transperce la monotonie d’une cité embrumée. Tragiquement belle, comme une boule à facettes tournant au-dessus d’un karaoké déserté, ou une cravate branlante accrochée à un ventilateur, qui nous rappelle que le disco ne meurt jamais.

➔ Extrait de S!CK #021. Soutenez l’indépendance et la démarche d’un média qui explore explore jeux vidéo et cinéma aux côté des créateurs en vous abonnant (sans engagement) au magazine papier

Par Yox Villars // + Read More
Magazine

S!CK présente le numéro Hotline Miami

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Fin des précommandes le 9 février 2025 à 23H00 GMT+2

Vous avez un nouveau message… S!CK #030 replonge dans la création d’Hotline Miami — un classique subversif du jeu indépendant que l’on explore au coeur d’un volume jeu vidéo de 276 pages, écrit aux côtés de certains des artistes, compositeurs et sound-designers impliqués dans la création des jeux.

Au fil d’un dossier de +100 pages, nous avons exploré les influences communes qui circulent entre les différents artistes et créateurs comme un courant électrique. L’occasion de plonger dans l’art psychédélique de El Huervo (Art & Bande-son), creuser les influences cinématographiques de la musique avec Carpenter Brut (Bande-Son), plonger en détail dans l’intensité brute des bruitages des jeux aux côtés de Jordan Fehr (Sound-Design), ou encore replonger dans les prémices de la conception du classique et de sa bande-son avec Jasper Byrne (Playtest & Bande-Son) & Eirik Suhrke (Bande-Son).

SPÉCIFICITÉS ET CONDITIONS D’ENVOIS // 276 pages sans publicité – Langue française – 170 x 230mm – Dos carré collé sur papier 150gr – Impression offset française – Couverture semi-rigide, finitions soft touch – Couverture recto/verso inédite de Aleksey Rico – Votre nom dans le numéro 30 (75 premières précos) – Sortie estimée Février/Mars 2025 // Expédié par nos soins & livraison partout dans le monde. (Voir nos conditions d’envois).

➜ ÉDITION COLLECTOR LIMITÉE // Pour accompagner le visuel inédit de la couverture du numéro Hotline Miami, nous avons repoussé nos propres murs avec une édition collector spéciale doublement extensible qui étale le visuel de couverture sur 60cm. Cette dernière profite de finitions rose métal sur toutes les faces de la cover, ainsi que d’un bandeau de sur-cover détachable au visuel alternatif. Vous trouverez également un marque page recto/verso inédit signé Nicolas Bazin ainsi qu’un deck de 7 cartes à collectionner illustrées par Sévan Grand. Pour cette précommande, nous avons également créé une édition « Signature » qui contient un Ex-Libris numéroté avec des petits mots signés des artistes et intervenants de ce numéro (limité à 100 exemplaire) !

➜  +25H D’INTERVIEWS // Dans ce numéro, nous avons exploré la cross-culture sous l’angle du jeu en partant au contact d’artistes et créateurs d’oeuvres comme Prince of Persia The Lost Crown (Mounir Radi, Jean-Christophe Alessandri), Tunic (Andrew Shouldice, Eric Billingsley, Janice Kwan, Terence Lee), Mediterranea Inferno (Lorenzo Redaelli), Mirror’s Edge (Solar Fields, Mattias Häggström, Tobias Hogstrand) ou encore Ultros (El Huervo, Ratvader). Pour cet opus, nous avons travaillé avec une dizaine d’artistes (Aleksey Rico, Gauthier Colin, The Dead Pegasus, Matt Kehler, Synopsies, Milena Gontard, Nicolas Bazin, Oscar Sidoff Rydelius, Quentin Marroule & Sevan Grand) qui ont parsemé nos longs formats de créations inédites.

➜ LE JEU VIDÉO IMMORTALISÉ // Chaque numéro, on encapsule les liens entre jeux vidéo et cinéma aux côtés des créateurs/trices. Notre but ? Préserver ce savoir et immortaliser la cross-culture dans un artzine de collection qui traite ses sujets en profondeur et donne une parole sans limite à celles et ceux qui font les jeux vidéo (numéros pairs) et le cinéma (numéros impairs). S’abonner c’est soutenir notre démarche, et recevoir les futurs opus en avant-première. Nos précédents volumes jeux vidéo explorent le médium à travers des contributions inédites des créateurs/trices de Alan Wake, Shadow of the Colossus, Citizen Sleeper, Jusant, Assassin’s Creed Mirage ou MediEvil.

Ces derniers mois, nous avons voulu repousser encore plus loin notre vision pour le média. Du fond du coeur, merci de votre soutien. Merci aussi de nous pousser à aller dans la bonne direction — donner la parole aux créateurs/trices est aujourd’hui une nécessité, et ceux qui façonnent les oeuvres ne méritent rien d’autre qu’un écrin qui saura perdurer dans le temps. Un temple de papier dédié à la création pour ne voulons rien d’autre que le meilleur. Vos messages, vos partages, vos précommandes, tous les soutiens sont importants pour nous aider à aller plus loin. Faire perdurer cette vision et explorer ensemble les profondeurs les plus insondables du Vortex.

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Une fois votre précommande validée, vous recevrez un premier mail de confirmation. Un second mail vous sera envoyé au moment de l’expédition finale de votre commande. Les précommandes pour S!CK #030 se terminent le 9 février 2025 et partira à l’impression dans la foulée. Nous espérons expédier les exemplaires numéros courant février / début mars.

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De l’impression jusqu’à l’expédition finale, vous pouvez suivre les étapes de chacun de nos projets sur notre Journal de Bord.

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CRÉDITS/SOURCES
Par Pharmacien du Culte
Un mercredi sur deux, on part à la rencontre des créateur/trices du cinéma et du jeu vidéo au sein d'une newsletter cross-culture qui prolonge les réflexions du magazine. Ce mois-ci, on discute avec le concept-artist de Jusant !