Il y a beaucoup de visions géniales dans Point Break. Mais il y en a une en particulier qui ne nous quittera jamais. Celle d’un Keanu Reeves encore tout frais, qui débarque sur la jetée face à la mer. Bien sapé, costard sur-mesure et planche de surf rose pétante sous le bras.
Bien peigné, cheveux gominés, Johnny Utah arrive comme un cheveau sur la soupe. Il n’a même pas besoin de parler, Keanu Reeves est instantanément attachant, à la fois charismatique et tellement vulnérable. L’agent sous couverture en impose, mais ses failles sont rapidement exposées à la vue de tous. « Look, Angelo… You think I joined the FBI to learn to surf ? » disait-il quelques secondes auparavant. Dans Point Break, le personnage de Reeves apparaît constamment tiraillé entre deux mondes. D’un côté, il y a le réputé Bureau Fédéral d’Investigation, dans lequel Utah rêve de gravir les échelons. De l’autre ? La mer, le sable, le lâcher-prise, et le gang de braqueurs/surfeurs qu’il doit infiltrer sous couverture. Sur le papier, l’histoire n’a rien de révolutionnaire. Mais elle va s’accompagner d’un autre récit en filigrane, bien plus intéressant : celui du personnage de Keanu Reeves, dont les certitudes vont se retrouver bouleversées.
Son rêve original (celui de joindre le FBI) va se ternir, renforcé par les images rudes de Kathryn Bigelow derrière la caméra, qui dresse le portrait d’un univers administratif, gris et austère, peuplé de gratte-papiers hostiles et rabougris, en contraste permanent avec la chaleur humaine des surfeurs, leurs feux de camp, et bien évidemment Lori Petty. Néanmoins, lorsque Keanu Reeves pète un câble sur son coéquipier vétéran du FBI (aka Angelo Pappas), l’acteur sonne encore un peu faux, en décalage, comme s’il était encore dans la retenue. Il tente de se galvaniser, de prendre la scène à bras le corps, mais Reeves possède une sorte de pudeur qui semble l’empêcher de véritablement péter une durite. Même lorsqu’il massacre tout le monde dans John Wick, l’acteur conserve cette remarquable distance émotionnelle. Un stoïcisme permanent, presque fascinant, dont Reeves a fini par faire une marque de fabrique.
// UN NOUVEAU HÉROS D’ACTION
Le contraste est d’autant plus clivant face à un Gary Busey plus psychotique que jamais, complètement possédé et dans le surjeu permanent. L’acteur vu dans Peur Bleue déborde de charisme lorsqu’il demande ses fameux sandwichs Meatball Sub, dont on vous a déjà proposé la recette dans un précédent numéro (S!CK #007). UTAH, GIVE ME TWO ! Le duo formé par Reeves et Gary Busey est totalement improbable, et c’est l’un des trucs géniaux à propos de ce film. Le premier est introverti, l’autre est explosif. C’est le Yin et le Yang. Les variations dans la Force sont tellement opposées qu’elles ne pouvaient que s’équilibrer. Et il en va exactement de même avec Patrick Swayze, aka Bodhi, le leader presque Mansonnien du gang des surfeurs. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les deux hommes partagent l’écran : il s’était déjà mis une taule à la téquila dans Youngblood, sorti en 1986. Cinq ans plus tard, leur confrontation fait date. Face à la décontraction hédoniste de Swayze, Keanu Reeves répond par le visage fermé de l’ordre et du contrôle. Il est le remède au chaos. Au fil du long-métrage, le jeu de Reeves se libère, abandonnant peu à peu la démarche robotique de l’agent guindé du FBI. Son interprétation tape dans le mille, le film fait un carton en salles, et la carrière de Reeves est définitivement lancée.
Inépuisable, Keanu Reeves enchaîne les cascades dans le film. Il veut tout faire lui-même, et veut tout savoir. Dans une interview pour Cinema Blend, Gary Busey le décrivait comme un acharné : « Il était là pour apprendre, prendre ce qu’il avait à prendre. C’était comme une éponge, qui glanait des informations auprès des autres acteurs, du réalisateur, du crew, absolument tout le monde. Très actif, très conscient, et aussi très vulnérable ». Ça se vérifie lors de cette phénoménale course poursuite à pied, dans laquelle il escalade les barrières, se prend un bulldog en pleine face et se jette dans une baie vitrée, poursuivie par la caméra effrénée de Bigelow. Indirectement, c’est Point Break qui a mis Keanu Reeves sur les rails de l’action. « J’ai commencé à sauter d’un avion à cause de Point Break. J’ai commencé à surfer à cause de Point Break », racontait-il au festival TIFF. « Je pense vraiment que c’est un film qui a changé la vie des gens, exactement comme il a changé la mienne ».
➜ Extrait remanié de S!CK #012. On replonge dans la filmographie de Keanu Reeves dans notre numéro Keanu Reeve, maintenant disponible sur le shop.