Vorace KahnaBaal explore le parallèle entre horreur et fanatisme chez Lovecraft

L'ivresse du Regard

Artiste, musicien et designer français, Vorace KahnaBaal utilise la photo, le montage, le graphisme et le collage, pour donner vie à des figures étranges et lucifériennes, imbibées de références aux Grands Anciens et aux visions d’Howard Phillips Lovecraft.

Chanteur du groupe de death metal Of the Same Kind, dont l’EP Dinner is Ready est sorti en 2020, il distille dans son art (comme dans sa musique) une poésie du macabre, de nombreuses références à l’occulte, et plus précisément au fanatisme religieux que l’on retrouve très souvent dans les textes de l’auteur de Providence. Pour ce quatrième épisode de notre série sur « L’art de Lovecraft », nous sommes partis à la rencontre de cet artiste singulier, qui met en lumière un aspect souvent délaissé de la cosmogonie lovecraftienne : à savoir le lien entre l’horreur et le fanatisme.

« Depuis très longtemps certaines croyances humaines, à commencer par les Sumériens, ont tendu à localiser l’enfer dans les entrailles de la terre » nous explique Vorace. « Howard Phillips Lovecraft dans son oeuvre lui a ouvert les portes du cosmos infini, au travers d’entités au-delà de l’espace et du temps, célébrées en sacrifices aux pieds d’idoles de pierre. C’est ce vertige abyssal, cette étreinte viscérale qui inspire souvent mon travail. L’idée d’une présence que l’on ne peut nommer ni dater ».

// HORREUR ET FANATISME

S’il est loin de se consacrer exclusivement à l’héritage de Lovecraft, l’art de Vorace baigne dans les névroses du maître de Providence. Il en dissimule des références parfois évasives, d’autres fois plus directes, puisant à chaque fois dans les symboles forts de la mythologie lovecraftienne. C’est d’autant plus évident sur l’oeuvre « The Dream of a Great Old One » qui assume ouvertement ce lien de parenté. « L’idée était de dresser un humble hommage à Lovecraft au travers d’un portrait. J’ai ruminé cette idée lors d’une journée de travail ennuyeuse et harassante, en me demandant quels outils j’allais utiliser pour cette entreprise. En rentrant chez moi le soir, j’ai trouvé des pinceaux sur mon pas-de-porte… C’était écrit quelque part, j’ai donc décidé d’utiliser l’encre de Chine et le papier pour l’aspect organique et la rigueur que cela demande. Et c’est tout naturellement que j’y ai fait figurer le cosmos, les tentacules et les créatures rampantes synonymes d’effroi via les scolopendres ».

Dans la cosmogonie des oeuvres de Lovecraft, l’idée d’une puissance supérieure n’est pas vraiment incarnée par un dieu invisible classique ni par une religion monothéiste, mais par les créatures cosmiques et les fameux Grands Anciens qui incarnent une certaine idée de la toute-puissance. Dans L’Appel de Cthulhu ou Le Cauchemar d’Innsmouth, on fait la rencontre de cultes reculés aux pratiques extrêmes, qui sont des adorateurs fanatiques de Cthulhu et Dagon. Le rituel religieux et fanatique devient alors une source d’horreur tout aussi manifeste, à l’image de cette scène animale de possession collective dans L’Appel de Cthulhu, durant laquelle des inspecteurs sont confrontés à une innommable psalmodie transcendantale. Des Hommes dépossédés de leur raison répètent l’incantation « Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu. R’lyeh wgah’nagl fhtagn ». On retrouve chez Vorace cette idée de fanatisme rampant, de l’abandon à une entité maléfique supérieure. Son oeuvre Y’ha-Nthlei évoque à la fois le divin, le cosmique et le tentaculaire de Cthulhu. « Cette création m’a été inspirée par Le cauchemar d’Innsmouth, et une citation que l’on retrouve en conclusion du film Dagon de Stuart Gordon adapté du même roman » nous explique Vorace. « J’ai voulu à travers cette pièce retranscrire la profondeur cosmique, l’idée de mondes présents derrière le voile du monde visible. De la même manière que Lovecraft a bâti des ponts surplombants les abîmes de la folie, au-dessus d’une brume opaque qui pue le souffre ».

// L’APPEL DU BODY-HORROR

Très souvent dans les créations de Vorace, ce ne sont pas les lieux qui sont représentés, mais plutôt des totems, ou des corps humains décharnés. Des carcasses déformées dont il duplique les attributs jusqu’à donner vie à de véritables monstruosités squelettiques, traversées par le concept de body horror, un autre grand thème de l’horreur qui s’attaque aux déformations du corps humain, et dont on retrouve des prémices dans les oeuvres de Lovecraft. Si Vorace n’hésite pas à déformer les corps dans ses montages, il laisse aussi échapper un certain sens de l’esthétique. Quelque chose qui touche au divin. « Le corps n’est qu’un déchet, une enveloppe éphémère, un cockpit, un consommable périssable, corvéable et jetable à souhait. De la nourriture pour les asticots. Mais en dedans subsiste une essence éternelle pour qui sait le reconnaître, et à travers laquelle le divin fait l’expérience de ce que l’on appelle la vie. C’est de cette manière que je traite la chair dans mon travail ».

Chanteur du groupe de Death Metal Of the Same King, Vorace poursuit à travers la musique son exploration visuelle du body-horror, du fanatisme et de l’héritage lovecraftien. « J’ai été auditionné par ce groupe pendant l’été 2018 afin d’y occuper le poste de vocaliste, et carte blanche m’a ensuite été donnée pour l’écriture des textes. J’y ai donc vu l’opportunité d’un prolongement de mon travail pictural. La musique est un excellent moyen d’aborder les thèmes précédemment cités, c’est ainsi que j’en aborde certains inspirés par le ‘De vermis mysteriis’ notamment. Mes textes parlent surtout du délabrement de la chair, du rejet de l’enveloppe corporelle dans le but d’atteindre un état supérieur d’existence. Mon morceau favori Leave Me Alone With Him relate l’histoire d’un homme reclus dans une pièce humide et sombre, qui plonge ses mains dans ses propres entrailles afin de les dévorer et s’extraire de sa geôle, laissant ses restes au sol comme autant de reliques d’adoration pour les créatures rampantes ».

➜ Cette interview entre dans le cadre de notre série « L’art de Lovecraft », proposée en complément du numéro Lovecraft. S!CK #018 est dispo sur le shop et en librairies. 

CRÉDITS/SOURCES
Par Yoann Villars // + Read More
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